Archives mensuelles : septembre 2008

Étude

when two things meet
they vibrate the air

and

they make sound
attack – decay – sustain – release

As I visit the city and the people
Let me vibrate your ears

I will leave as the sound disappear
Sound – a trace of existence –
– a sign of visitation –

La série d’œuvres Étude de l’artiste japonais Mamoru Okuno est dérivée du potentiel sonore et musical d’objets du quotidien. Par le regard inusité que l’artiste porte sur eux, des objets banals; des cintres, des bocaux de vitre, des pailles, deviennent porteurs d’une sonorité insoupçonnée. Soustraits de leur fonction d’usage et transformés par les gestes de l’artiste, les objets se présentent comme des œuvres sonores à écouter. Étude est en ce sens une investigation des sonorités occultées du quotidien et un questionnement sur la notion de valeur. Qu’est-ce qui détermine la valeur des choses? se demande l’artiste. Avec Étude, cette réflexion se centre sur un ordinaire sublimé et touche le spectateur qui, lorsqu’il expérimente les œuvres de l’artiste, s’ouvre à une poésie située hors du conventionnel et de la norme.

Attack

En résidence in situ à LA CHAMBRE BLANCHE, Okuno utilise ses Études comme vecteurs d’une rencontre avec le public. Avant même d’arriver sur les lieux, il formule le souhait de visiter des résidents de Québec comme prémisse à son travail en atelier. Il désire échanger avec eux des idées, parfois même des objets, dans un esprit d’écoute et de complicité.

crédit photo: Ivan Binet

crédit photo: Ivan Binet

Rapidement, l’artiste se déplace dans la ville vers un public curieux de découvrir cet artiste venu de loin pour le rencontrer. En toute simplicité, un contact se crée par la présence d’individus à l’histoire, aux valeurs et aux habitudes différentes, mais partageant le désir d’une rencontre. Okuno introduit quelques-unes de ses Études tout en discutant d’art, de tout et de rien, autour d’un repas partagé ou lors d’une ballade en nature.

crédit photo: Ivan Binet

crédit photo: Ivan Binet

Dans un environnement qui leur est familier, les participants s’adonnent à l’écoute de sons tirés d’objets du quotidien, mais située hors du quotidien, hors de l’habitude. Okuno leur présente Étude no 7 / plastic straw, une œuvre d’art multiple qu’il a fait produire en industrie, une paille comme on en trouve dans des chaînes de restauration rapide. Sous un emballage personnalisé aux couleurs de l’artiste, cet objet trivial que l’on a l’habitude de jeter après usage est cependant une œuvre d’art signée Okuno. Amusés, séduits par l’approche toute simple de l’artiste, les participants s’adonnent avec enthousiasme ou hésitation au jeu de souffler dans une paille. Mélodieux ou stridents peuvent être les sons produits alors que l’on souffle dans le mince tube de plastique. Révélant une poésie de l’ordinaire, l’expérience s’avère à la fois nouvelle et primitive. Une forme de communication non verbale se glisse dans l’immédiat des rencontres, les participants ayant le sentiment de vivre quelque chose d’essentiel et qui comble un véritable besoin d’être ensemble.

Les participants prêtent aussi une oreille attentive à Étude no. 12 / plastic film, une œuvre faite de morceaux de pellicule alimentaire minutieusement enfoncés dans deux petits cubes d’acrylique transparent. La taille de l’œuvre s’adapte bien à la manière d’en faire l’expérience: il faut pousser les boules de Saran Wrap contre le fond des boîtes et les porter à ses oreilles pour entendre le son produit alors que se déploie, dans cette petite chambre sonore, le matériau d’usage domestique. Avec son coffret de bois au riche ton de noyer, arborant son titre et la signature de l’artiste, l’œuvre a l’apparence d’un objet précieux ou d’un bijou haut de gamme.

crédit photo: Ivan Binet

crédit photo: Ivan Binet

Ces ajouts, transformant l’objet trivial en œuvre d’art, rappellent la subtilité du travail de Duchamp, scandale en moins. Il faut se rappeler qu’en 1917, l’artiste français avait présenté à l’Armory Show de New York, un urinoir renversé, affublé d’une date et signé R. Mutt. Hérésie à l’époque, le ready-made, a rapidement été récupéré par d’autres artistes (les surréalistes entres autres et plus tard, les minimalistes) et la filiation se poursuit aujourd’hui avec Okuno. Cependant, s’il faut parler de la valeur des Études, elle ne réside certainement pas dans le statut rehaussé de l’objet ordinaire, mais plutôt dans l’expérience qu’elles offrent et à laquelle sont conviés les visiteurs de la résidence.

Decay

Okuno profite aussi de ses visites afin d’amasser certains objets qu’il a l’intention d’utiliser pour sa résidence. Avec promesse de retour, il emprunte des participants des cintres de métal et des bocaux de vitre. Ramenés à la salle d’exposition de LA CHAMBRE BLANCHE et disposés dans l’espace en autant de «stations sonores», ces objets deviennent d’autres Études.

crédit photo: Ivan Binet

crédit photo: Ivan Binet

Les visiteurs se laissent ainsi emporter par Étude no 11 / hangers: suspendus dans les airs par des fils de nylon et soigneusement regroupés autour d’une chaise qui s’offre comme fauteuil d’orchestre, des cintres de métal s’entrechoquent délicatement et produisent un agréable tintement. Ailleurs, avec Étude no 21 / wax paper, des bandes de papier ciré suspendues au plafond par groupe de trois s’agitent doucement et rappellent le son du vent qui caresse les feuilles d’arbres. Puis, plus loin, avec Étude no 9 / stones and shoes, des cailloux blancs disposés au sol appellent à être piétinés afin d’émettre une friction sonore.

Reflétant l’épuration caractéristique du jardin japonais, les divers éléments de l’installation se déploient dans l’espace en créant pour les visiteurs un parcours rythmique fait de déambulations et de temps d’arrêt. Tout semble avoir été mis en place selon un plan immuable, mais en fait, chaque station appelle le mouvement des visiteurs et se dynamise par leur présence même. Objets de fascination, les Études, dans la blancheur de la pièce, perdent leur forme, leur particularité visuelle, pour devenir de fascinantes boîtes de musique.

Sustain

Ponctuant la trame temporelle de sa résidence par des performances sonores offertes au public, Okuno poursuit l’étude de ces sonorités, mais cette fois-ci modifiées par divers transformateurs. Ses performances sonores s’offrent comme des actions primitives faites à partir de matériaux contemporains. Entouré de ses objets, Okuno improvise. Avec des transformateurs qui permettent aux sons produits de s’amplifier ou de former des boucles, Okuno laisse couler des sons, en combine d’autres, sans chercher à créer des arrangements, mais en étant plutôt attentif à leur nature propre et à la manière dont ils peuvent s’exprimer, seuls ou ensemble. Déconstruisant les attentes, Okuno ne cherche pas la sophistication ou la mélodie, mais se livre plutôt à une expression brute de sons produits simplement. Une musique qui exige la même écoute que pour les actions de John Cage. Le compositeur américain avait d’ailleurs introduit, avec fracas, un peu comme l’avait fait Duchamp, quelques décennies plus tôt, une distorsion dans le monde de l’art, cette fois-ci plus particulièrement du côté de la musique. Sa pièce 4’33’’, interprétée par le pianiste David Tudor en 1952, était composée des bruits environnants de la salle de spectacle puisque le musicien, qui avait posé ses mains sur le clavier, n’enfonça en fait aucune touche. Le silence, dans le travail d’Okuno est cependant celui qu’il faut offrir à l’artiste afin d’entendre la musique qu’il crée à partir de l’ordinaire.

Release

Loin d’êtres improvisés, les derniers jours de la résidence d’Okuno se présentent plutôt comme une signature finement orchestrée. Telle une chute sonore, l’artiste termine le contact physique créé à LA CHAMBRE BLANCHE en remettant aux participants les objets qu’il avait emprunté. Il invite ainsi les gens qui ont eu le plaisir de le rencontrer à revenir l’entendre pour une dernière prestation sonore.

crédit photo: Ivan Binet

crédit photo: Ivan Binet

Au sol, les bocaux de vitre sont disposés de manière à recréer, à l’échelle de l’espace intérieur, les distances parcourues par l’artiste durant son séjour. Un à un, les visiteurs sont invités à s’approcher du bocal qui représente leur demeure. Puis, l’artiste leur remet un glaçon qui emprisonne partiellement un fil se terminant par un petit crochet. Les participants, sous les consignes de l’artiste, suspendent le glaçon à un autre fil placé au préalable par l’artiste au-dessus des bocaux. Lorsque tous les participants ont terminé cette délicate installation, l’artiste leur demande de tendre l’oreille. Ensemble, ils font silence afin de percevoir le fracas presque inaudible des gouttes d’eau qui glissent des glaçons pour terminer leur chute dans leur bocal respectif. Il ne restait qu’à applaudir!

Après quelques notes émises avec ses objets apprivoisés, Okuno s’affaire à un dernier décrochage. Il coupe les fils qui retiennent au plafond les cintres de métales remettant aux participants avec une petite réplique faite main soucieusement accompagnée d’un délicat mot de remerciement. Okuno, tel un chef d’orchestre, agite un dernier coup de baguette en se retournant pour saluer ses auditeurs.