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À hauteur du regard

Tant de propos, qui depuis des siècles développent une théorie de la peinture et nous voilà encore devant une analyse des problèmes phénoménologiques qui nous oblige à poser toujours la même question: comment l’homme comprend-il le sens de la couleur? Car après tout, Cézanne avait raison: la peinture est une optique d’abord.1 Elle est un phénomène plastique et une intention précise qui, par la base de l’expression visuelle (la valeur de la matière colorante, la ligne, la touche, le signe, le rythme, la surface, l’éclat de la lumière, l’opacité et la transparence…), n’exprime qu’elle-même en révélant l’image d’un monde unique et total.

crédit photo: Ivan Binet

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Et c’est précisément la logique de ce tout, la force de cet absolu, construit par la relation à la fois très simple et complexe entre la peinture modulaire, l’architecture et l’espace, qui nous touche si profondément dans le travail d’Antonello Curcio, l’artiste italien qui nous offre comme le fruit de sa résidence à LA CHAMBRE BLANCHE, une installation sobre et convaincante, intitulée À hauteur du regard.

crédit photo: Ivan Binet

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Il s’agit d’un travail in situ dans lequel, chaque inscription aux murs de la galerie est paradoxalement affirmée par la manifestation de son absence. Nous comprenons cela déjà en posant le premier regard sur cette installation dont la caractéristique première (malgré l’évidence d’une problématique proprement picturale basée sur le rapport entre le signe et la surface) est l’absence de la coloration. Concrètement, tout le dispositif repose sur la variation chromatique très subtile d’une seule couleur: un blanc absorbant, mat, délicat et en même temps intense. Mais, en observant plus attentivement, nous constatons que le principe du chevauchement et de la transposition entre l’absence et la présence opère d’une manière conséquente dans tous les autres éléments de cette réflexion visuelle.

Ainsi, tous ces volumes et dessins géométriques aux dimensions frontales identiques, toutes ces lignes au crayon qui émergent en dessous des fines couches de la matière, ces traces inscrites à l’exacto et parfaitement intégrées aux surfaces architecturales, ne se manifestent que par l’effet de l’absence et par un inexplicable abîme de sa propre matérialité. Une matérialité inachevée, non conforme à son origine, mais à la conjonction des phénomènes: la vibration, la transparence, la trace du silence contemplé dans le temps.

Il suffit d’observer la luminosité des volumes produite par la dynamique étrange entre un blanc mal éclairé et un gris vibrant, ou l’absence des ombrages autour des tableaux dégagés du mur par leurs profondeurs, pour réaliser à quel point ce travail, au-delà de toutes références, ouvre l’horizon d’une réflexion purement phénoménologique. À quel point, il examine surtout les possibilités et les limites plastiques d’un médium et la complexité d’un processus intime exposé au spectateur avec délicatesse et détermination.

Pierre Fédida a écrit qu’ «il n’y a rien à dire de l’image si ce n’est qu’elle est – ni vraie ni fausse – seulement et simplement parce qu’elle est ou par ce qu’elle produit.»2 Le travail d’Antonello Curcio nous confronte précisément à la même contemplation. Parce que devant ce travail on se sent à l’abri de chaque prépondérance verbale, de chaque confusion thématique, à l’abri de chaque séduction facile et de l’excitation spectaculaire et nous éprouvons une grande satisfaction muette. Une altérité prenante entre le rythme de notre propre existence et celui d’un souffle profond, limpide et lent qui n’explique rien, ne raconte rien, mais fonctionne simplement.

Étonnés et émus, nous n’avons pas le choix de nous demander: L’image serait-elle alors inévitablement une correspondance muette et solitaire? Serait-elle cette réalité jamais complètement comprise qui ne peut pas exister sans se répéter toujours différemment? Peut-elle être mesurée autrement que par le regard de l‘autre? Par quoi peut-elle se défendre sinon par sa fragilité phénoménologique surgissante visuelle offerte à l’autre, avec la manifestation d’une articulation contigüe de l’image en tant qu’image et en tant qu’objet qui évoque visuellement plusieurs niveaux de la réalité, Antonello Curcio impose, sans doute, toutes ces questions et nous oblige à repenser l’image et sa dimension ontologique de trace dans l’existence entière de l’espace. Mais aussi à repenser l’espace comme un élément qui fonctionne poétiquement et physiquement comme un lien organique entre les deux expériences; humaine et artistique. En effet, par son essence, cet espace fusionne les situations et les expériences distinctes dans un seul instant dans lequel se superposent le point et le tout, l’originaire et le nouveau, le possible et le nécessaire.

Offert à l’autre, avec la manifestation d’une articulation contigüe de l’image en tant qu’image et en tant qu’objet qui évoque visuellement plusieurs niveaux de la réalité, Antonello Curcio impose, sans doute, toutes ces questions et nous oblige à repenser l’image et sa dimension ontologique de trace dans l’existence entière de l’espace. Mais aussi à repenser l’espace comme un élément qui fonctionne poétiquement et physiquement comme un lien organique entre les deux expériences; humaine et artistique. En effet, par son essence, cet espace fusionne les situations et les expériences distinctes dans un seul instant dans lequel se superposent le point et le tout, l’originaire et le nouveau, le possible et le nécessaire.

crédit photo: Ivan Binet

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C’est donc en ce sens que le travail n’est ni une affirmation ni une proposition, mais avant tout le moment d’une rencontre qui ouvre l’espace sui generis. Un espace dans lequel tout ce qui nous est offert n’est qu’une ultime aspiration à devenir ce qui est susceptible d’être désigné, d’être élevé à la hauteur de notre propre regard. Car l’art est toujours une possibilité, jamais une constatation, une inspiration autant pour le créateur que pour son public. L’œuvre est une continuité, un circuit de l’expérience qui simultanément et paradoxalement ne peut pas exister en dehors de sa propre histoire ni être savouré qu’à partir d’une subjectivité qui rendre possible la perpétuelle conversion du sens.

  1. Cézanne, Paul et John Rewald. 1978, Correspondance. Paris: Éditions B. Grasset, 346 p.
  2. Fédida, Pierre. 2009, Le site de l’étranger: La situation psychanalytique. Paris: Presses Universitaires de France, p. 213.