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Un cabinet de l’immédiat

Bruno Caldas Vianna fabrique des pièges qui captent le temps. Les dispositifs qu’il élabore sont réalisés à partir d’équipements technologiques qui sont considérés comme désuets. Il reconnaît lui-même que la salle d’exposition qu’il a investie à LA CHAMBRE BLANCHE pourrait évoquer le cabinet de curiosités, ou encore la Wunderkammer, «chambre de merveilles». En amassant des équipements que l’obsolescence isole du présent, le processus de l’artiste s’apparente d’ailleurs à celui du collectionneur d’objets curieux. Au lieu de les préserver dans un temps figé, Vianna leur redonne la vie en leur attribuant de nouvelles fonctions qui sont alimentées par l’environnement immédiat où ils se trouvent.

crédit photo: Ivan Binet

crédit photo: Ivan Binet

Dépendant du bruit, du mouvement ou de la lumière, les créations de Vianna transmettent des parcelles de réalité qui relèvent de leurs dispositifs propres. Leur rassemblement donne l’impression de pouvoir accéder simultanément à différentes perceptions du monde. Au lieu que d’en présenter différentes échelles comme le feraient la loupe ou le télescope, ce sont plutôt des fragments de temps qui sont captés.

Certains dispositifs consistent en de nouvelles interprétations de la camera obscura. L’un d’eux se met en marche avec le mouvement d’une roue alimentée par la lumière du jour. Installé sur une fenêtre donnant sur la rue Christophe Colomb, il capte de brefs instants de la lumière extérieure. Isolées de leur réalité initiale, les photographies qui en résultent se présentent comme fragments des alentours. Leur petite taille et la retranscription des environs qu’elles fournissent rappellent les idées de Brassaï qui considérait que la photographie constitue «un double fidèle mais miniaturisé du monde extérieur.»1

crédit photo: Ivan Binet

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Pour Vianna, l’idée de travailler à partir d’une roue lui était inspirée par les premiers dispositifs d’enregistrements et de projections cinématographiques, mais également par l’ingénierie médiévale. L’artiste considère que c’est d’abord ce choix d’évoquer de vieux systèmes qui apparente la présentation de ses œuvres à celle du cabinet de curiosités. En se référant à d’anciens procédés, l’artiste capte le temps présent tout en faisant allusion à l’histoire universelle du monde. Le caractère rudimentaire de certaines de ses machines rejoint alors l’archaïsme des procédés dépassés qu’il évoque.

crédit photo: Ivan Binet

crédit photo: Ivan Binet

Suivant l’analogie qu’établit Vianna entre son travail et le cabinet de curiosités, on pourrait comparer ces images aux versions réduites du monde, jadis restituées par les collections savantes qu’on exhibait en vue de l’expliquer. Au XVIIIe siècle, sous l’influence des idées de Diderot qui préconisait l’institution d’un «mémorial encyclopédique de l’esprit humain,»2 ces collections étaient souvent élaborées, aux côtés de minéraux ou de végétaux pour reconstituer les habitats où ils se trouvaient à l’état vivant. Il pouvait aussi arriver qu’on expose différentes espèces regroupées, en simulant une interaction n’ayant jamais existé dans la réalité. Les parties méconnues de la science se trouvaient alors comblées par l’imaginaire du collectionneur. Coïncidence étrange, pour parler de son travail, l’artiste emploie fréquemment des expressions associées aux actes de prédation: il qualifie ses créations de «pièges lumineux pour le temps» et se compare à un «chasseur» traquant sa «proie» évanescente.

crédit photo: Ivan Binet

crédit photo: Ivan Binet

Ces instants, même une fois «capturés» et exposés, ne subissent toutefois pas la représentation mortifère habituellement suscitée par l’immortalisation muséale. Parce que ces créations dépendent de l’environnement dans lequel elles se trouvent, en les expérimentant, c’est à la captation directe du temps que l’on assiste plutôt qu’à son interruption. L’un des dispositifs est employé pour reconstituer des images à partir des bruits ambiants qui sont captés dans la salle d’exposition. Apparaissant progressivement sur une tablette numérique, ces images présentent des interventions archéologiques réalisées dans la ville de Rio. Différentes strates d’une époque lointaine ressurgissent grâce aux variations de l’immédiat, produisant ainsi une révélation du passé par le présent.

Un autre des dispositifs réinterprétant la camera obscura est employé à capter différents moments d’un sujet sur la même surface photosensible. Le paysage urbain des environs est alors révélé en parcelles d’instants multiples. Fantomatiques, les images se présentent en négatif puisque leur captation est imprimée directement sur le papier. Ce sont les variations de la lumière qui témoignent de la pluralité des moments de la journée coexistant sur une même image. Leurs démarcations rappellent l’érosion des sols qui témoigne du passage du temps sur un territoire. À la différence d’une photographie qui résulte de la captation d’un seul moment, cette pluralité des instants d’un même sujet présente une version du monde où le temps aurait été aboli par sa démultiplication.

crédit photo: Ivan Binet

crédit photo: Ivan Binet

Puisque les dispositifs de Bruno Caldas Vianna présentent différentes formes de captation du temps, leur réunion dans un même espace ouvre sur la perception d’un infini en réduction.3 Si la désuétude attribuée aux éléments qui les constituent donne l’impression qu’ils sont dépassés par le temps, il semble paradoxal que ces objets devenus artefacts contribuent plutôt à en alimenter la régénérescence. D’autre part, l’époque dont proviennent ces matériaux n’est pas si loin du présent. Par leur simple présence matérielle, ces différentes pièces réunies semblent témoigner d’une accélération du monde, dépassé par la vitesse de son évolution technologique et médiatique. Dès lors, il y a bel et bien lieu de considérer l’ensemble comme une forme de cabinet, qui serait adapté aux savoirs et à l’imaginaire d’une époque demandant encore à explorer et à comprendre.

  1. Brassaï. 1997, Marcel Proust sous l’emprise de la photographie. Paris: Éditions Gallimard. p. 33.
  2. Davenne, Christine et Christine Fleurent. 2011, Cabinets de curiosités: La passion de la collection. Paris, Éditions de La Martinière. p. 16.
  3. Ibid., p. 66.