Robyn Moody est fasciné par les sciences et les mathématiques. Il s’intéresse aux recherches du biologiste Richard Dawkins, du cosmologiste Carl Sagan, du physicien-théoricien Richard Feynman et de l’astrophysicien Brian Cox. Moody est intimement très touché par ce qu’il perçoit comme le rejet de la science au sein de notre société et il met de l’avant sa propre fascination pour la science dans sa production artistique. Plus précisément, le travail de Robyn Moody vise à l’esthétisation de matériaux numériques et électroniques par la production d’installations qui engendrent des phénomènes physiques. En utilisant des systèmes artificiels, il recrée des phénomènes qui transforment l’expérience du quotidien comme c’est le cas dans l’œuvre Buterflies. Species at risk at the edge of reason (2010-2013). Il s’agit d’une installation de livres dotés d’un support mécanique qui anime le papier pour reproduire le mouvement du papillon au repos. D’autres de ces travaux rendent hommage à des dispositifs numériques archaïques. Son œuvre Enigma (2020) est un bon exemple de sa fascination pour les objets issus de l’histoire des technologies. Elle est constituée d’une multitude d’instruments électroniques désuets qui produisent de la musique sur un synthétiseur. Ce projet illustre l’intérêt de Moody pour l’automatisation des instruments musicaux et pour les calculs mathématiques aléatoires produits par une machine. Le calcul aléatoire est néanmoins déterminé selon des paramètres mathématiques circonscrits dans une perspective déterminée par les algorithmes produits par l’artiste. Le projet présenté à LA CHAMBRE BLANCHE, Sanguine Through the Storm, s’inscrit dans la continuité des recherches de l’artiste sur les technologies et le concept de calcul aléatoire.
Eau et apocalypse
L’idée de départ de Robyn Moody lui est venue alors qu’il était dans un pub et qu’il remarqua un tuyau qui fuyait au plafond. Afin d’éviter les dégâts, une installation précaire redirigeait l’eau vers un évier à l’aide d’une série de seaux suspendus. L’idée de l’eau qui coule dans un bâtiment public l’a profondément marqué. À ses yeux, c’était un peu comme une vision apocalyptique du monde. Ce que Roby Moody a gardé de cette anecdote est la manière de produire quelque chose de joyeux à travers une situation désespérée. L’installation de Robyn Moody à LA CHAMBRE BLANCHE consistait en une série de colonnes colorées construite de seaux, un réseau hydroponique qui conduisait l’eau dans chaque seau de manière calculée. L’eau circulait du haut vers le bas dans le but de créer une trame sonore. Un capteur électronique était placé dans chaque seau, recevait physiquement l’eau et envoyait un signal à l’orgue. Au fil de la trajectoire, une bande sonore se créait par la rythmique aléatoire des gouttelettes d’eau tombant dans les seaux. D’ailleurs, l’égouttement était amplifié par des hauts-parleurs à faible puissance dans chaque seau éclairé de l’intérieur. Ainsi, des ampoules étaient positionnées sur chaque capteur et s’activaient lorsque l’eau touchait le capteur. Les moteurs munis de vitesses variables qui affectaient la fréquence et l’amplitude des gouttes d’eau activaient le mouvement de l’eau d’un seau à l’autre. Dans chacun des seaux des petits contenants se remplissaient jusqu’à atteindre un point de bascule pour se déverser dans le prochain seau de la chaîne. Lorsque l’eau terminait son parcours de la colonne de seaux, elle était récupérée dans un récipient. Ainsi, l’eau du circuit était en continuelle mouvance dans l’espace.
Composition sonore aléatoire en Si majeur
Ce projet fut produit dans le contexte de Manif d’art 8, sous la thématique L’art de la joie de la commissaire Alexia Fabre, conservatrice en chef du MAC VAL – Musée d’art contemporain du Val-de-Marne en France. Incontestablement, Robyn Moody abordait la joie par les couleurs et la musique dans son installation. D’autre part, la composition produite par les gouttelettes d’eau créait un rapport singulier et indéfinissable à la musique. L’autrice Miriana Yanakieva mentionnait ce rapport à l’indescriptible dans la musique : «La musique est sans doute un des phénomènes les plus aptes à nous faire vivre cette expérience de la confrontation aux limites du langage. L’indicible et tous ses synonymes tels qu’inexprimable, ineffable, innommable, indescriptible et autres, ont toujours occupé une place privilégiée dans le discours sur la musique. Pourtant, quoique très proches, ces termes ne sont pas complètement interchangeables.»1
Véritablement, cette rencontre entre la musique, les arts électroniques et les arts visuels engendre une réception particulière et inexplicable de la musique. De ce fait, ce qui est indéfinissable se traduit par les émotions. Dans un article intitulé Musique et émotions, les auteurs évoquent la notion d’interdisciplinarité : «Quant à la problématique émotionnelle, elle semble favoriser – pour ne pas dire susciter en elle-même – les rapports interdisciplinaires, car bien qu’appréhendée par divers champs du savoir, elle détient un caractère anthropologique fondamental.»2 Dans Sanguine Through the Storm, le rapport interdisciplinaire de cette installation est imminent lorsque la lumière et la note de musique sont activées au même moment par une goutte d’eau. La complexité du système et l’étonnant mélange entre ce qui se voit et ce qui s’entend provoquent une émotion vive chez le spectateur. Composée en Si majeur, la pièce musicale aléatoire crée une forte émotion liée à L’art de la joie. Par ce projet, Robyn Moody a réussi à concevoir un espace empreint d’allégresse, d’étrangeté et d’émerveillement.
- Miriana Yanakieva, «La musique et l’indescriptible» dans Recherches séméotiques : Sémiotique et musique, Volume 37, Numéro 1-2, 2017, p. 61, Tome 2, en ligne, https://www.erudit.org/fr/revues/rssi/2017-v37-n1-2-rssi03977/1051475ar/. Page consultée le 09/06/2020.
- Nathalie Fernando, Hauke Egermann, Lorraine Chuen, Bienvenu Kimbembé et Stephen McAdams, « Musique et émotion : Quand deux disciplines travaillent ensemble à mieux comprendre le comportement musical humain » dans Anthropologie et Sociétés : Ethnomusicologie et anthropologie de la musique, Volume 38, Numéro 1, 2014, p. 169, en ligne, https://www.erudit.org/fr/revues/as/2014-v38-n1-as01471/1025813ar/. Page consultée le 10/06/2020.