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Échange Québec/Xi’An

Au printemps dernier, Le Lieu, centre en art actuel, et le Xiang Xishi Center For Contemporary Art ont mis sur pied un échange entre des artistes de Québec et de Xi’An, en Chine. Le coup d’envoi du premier volet de cette collaboration s’est tenu au Lieu lors d’une soirée marquée par la performance des artistes Li Xiaomu et Xiang Xishi, laquelle fut suivie d’une conférence portant sur la situation de l’art actuel et de l’art performatif en Chine. L’événement permettait de découvrir une pratique intimiste qui se traduit par des gestes simples, presque imperceptibles, car tellement ancrés dans une iconographie du quotidien. Une pratique pourtant politique, voire revendicatrice, mais d’une douceur désarmante.

crédit photo: Quan Wu

crédit photo: Quan Wu

Une semaine après cette soirée au Lieu, le public était invité à prendre part au vernissage déambulatoire des autres expositions réalisées dans le cadre de l’échange. On pouvait alors découvrir le travail en art audio de l’artiste Wu Quan chez Avatar; les photographies de Chen Hua et Su Shen chez VU, ainsi que l’installation in situ de Pan Wang à LA CHAMBRE BLANCHE. Bien que très différentes les unes des autres, ces expositions ont permis de lever le voile sur des pratiques artistiques à la fois enracinées dans la culture chinoise et ouvertes sur le reste du monde.

On connaît la Chine pour son économie, sa cuisine et son architecture, mais sa scène artistique contemporaine demeure généralement assez méconnue. Le fait est que le pays est toujours sous l’emprise d’un régime autoritaire qui laisse souvent peu de place à la liberté d’expression. Et pourtant, depuis les années 1980 – période durant laquelle la Chine s’est ouverte économiquement à l’occident – les arts visuels ont connu de grands bouleversements, prenant une tangente plus contestataire.

crédit photo: Quan Wu

crédit photo: Quan Wu

La performance occupe une place centrale dans cette prise de parole libératrice, mais elle demeure en marge du réseau officiel. Elle est très souvent assimilée à un art militant qui défie – dans la mesure du possible – les limites de la loi et les normes sociales instituées par l’État. On dit «dans la mesure du possible», car le gouvernement exerce encore à ce jour un contrôle important sur la population, sur les médias et, bien sûr, sur les arts. Ces pressions se manifestent, entre autres, par une application fréquente de la censure des formes d’art qui s’écartent des canons reconnus (et devrait-on dire «autorisés») par les autorités politiques1. Dans un tel contexte, des collaborations comme celle qui unit le Lieu et le Xiang Xishi Center For Contemporary Art sont importantes, voire essentielles pour le soutien – peut-être essentiellement symbolique – de l’art non-institutionnel en Chine. Cela teintait sans doute aussi le regard que l’on pouvait poser sur les productions artistiques présentées dans le cadre de l’échange, notamment en ce qui concerne la résidence de Pan Wang à LA CHAMBRE BLANCHE.

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crédit photo: Ivan Binet

crédit photo: Ivan Binet

Peu de temps après son arrivée à Québec, Wang a réalisé une performance sur la terrasse Dufferin. L’action a été filmée par trois caméras: la première placée directement devant l’artiste, la seconde à sa droite puis la dernière à sa gauche. Sous le regard tantôt amusé, tantôt intrigué, tantôt indifférent des passants, le performeur s’est méticuleusement recouvert la tête et le visage de bandes d’adhésif blanc afin de se confectionner un masque sur lequel il a ensuite dessiné au feutre deux orbites noires et une bouche inquiétante.

Dans la galerie, l’installation reproduisait le dispositif de captation de la performance: sur trois murs étaient projetées les trois prises de vue de l’artiste. Suspendu au plafond, le masque à demi déchiré se présentait à la fois comme un artéfact de l’action artistique passée et comme une évocation de la présence de l’artiste dans l’espace d’exposition. Enfin, l’ensemble était complété par une quatrième projection: un plan rapproché sur une surface d’eau ondoyante baignée de rouge.

Ayant à l’esprit les conditions dans lesquelles évolue l’art contemporain en Chine, quelques pistes de réflexion semblent inévitablement émerger du travail de Wang. Il y a d’abord la réalisation de sa performance dans l’espace public, en l’occurrence sur un site très touristique, voire emblématique, de Québec. Par cette action et ce choix de lieu, l’artiste affirmait sa présence dans la ville et, du même souffle, la présence de l’art dans le tissu social. Dans la mesure où de telles manifestations artistiques sont souvent censurées dans son pays d’origine, le fait de se mettre en scène devant l’une des architectures les plus reconnaissables de la Vieille Capitale est loin d’être anodin.

crédit photo: Ivan Binet

crédit photo: Ivan Binet

Le dispositif de captation de la performance soulevait lui aussi plusieurs éléments de réflexion. Il était évidemment nécessaire de filmer l’action si l’artiste souhaitait la transformer ensuite en une installation en galerie. Cela étant dit, puisque les caméras étaient placées l’une en face de l’autre, elles filmaient non seulement l’artiste et l’action qu’il était en train d’exécuter, mais aussi le dispositif en lui-même. En d’autres mots, les caméras devenaient un élément incontournable de l’œuvre puisqu’elles se rendaient visibles en même temps que le performeur, aussi bien durant l’action que dans l’installation vidéo. Dès lors, en tant que spectateurs, on ne savait plus s’il s’agissait de simples caméras servant à documenter l’œuvre performative ou si l’on avait plutôt affaire à des caméras de surveillance enregistrant les moindres faits et gestes de l’artiste. La confection du masque semblait également corroborer cette posture ambivalente, car grâce à lui, Wang dissimulait sa réelle identité sous les traits d’un visage anonyme et inquiet.

Enfin, la quatrième projection – celle de l’eau rouge – était à la fois apaisante et dérangeante. Présentant un plan rapproché sur une étendue d’eau relativement calme, la vidéo semblait d’abord inviter à la méditation. Or, il y avait aussi ce rouge écarlate qui induisait une certaine incongruité dans l’image… Pourquoi cette couleur? Une référence au drapeau chinois? Une allusion au fameux Petit livre rouge?

crédit photo: Ivan Binet

crédit photo: Ivan Binet

Tous ces éléments mis en relations créaient une ambiance troublante; comme s’il y avait un décalage entre le spectateur et ce qui lui est donné à voir (tantôt les caméras, tantôt le masque, tantôt le voile rouge). Toutefois, en rendant visible le dispositif de captation et de diffusion, Wang révélait aussi le filtre à travers lequel ses gestes, ses actions, son identité et éventuellement son œuvre parvenaient aux regardeurs. C’était donc en pleine conscience, de manière résiliente et lucide, que l’artiste affirmait sa présence dans l’espace public. Il était alors possible de déceler dans ces gestes simples la manifestation d’une inquiétude, mais également d’une volonté de se faire voir, entendre, connaître et reconnaître.

  1. Certains experts, comme l’auteure et conférencière Madeleine O’Dea, considèrent même que le pays traverse présentement une période de retranchement caractérisé par un recourt de plus en plus fréquent à la censure. O’Dea, Madeleine. 2017, The Phoenix Years: Art, Resistance, and the Making of Modern China. New York: Pegasus Books, 360 p.