Avec Photosociality, Michela Mariani aborde la relation entre l’image sociale et l’intimité à l’heure des réseaux sociaux. L’artiste remet en question ici la propension actuelle à partager sans économie les moments qui jettent sur nous une lumière favorable et à garder pour soi les moments de vulnérabilité. Cet écart entre la réalité et ce qui est partagé sur les réseaux sociaux engendre un rapport mensonger, une fausse représentation de l’existence humaine.
Diplômée de l’Académie des beaux-arts de Bologne, spécialisée en esthétique, Mariani est également photographe publicitaire. Sa démarche artistique utilise la photographie comme moyen de comprendre le monde et de provoquer des rencontres, afin de laisser tomber ces masques de convenances sociales, ces images contrôlées de quasi-perfection, fabriquée et mise en scène, qui réduisent l’existence humaine à un produit de consommation à promouvoir. On constate donc une mise en opposition entre la photo de publicité, contrôlée, manipulée, techniquement forte, dans un but de vente, et la photographie du quotidien, de tous les quotidiens. Une photographie portée par le processus de la prise de vue. Une photographie de non-photographe, ou ce que l’artiste nomme l’erreur photographique, soit «ces moments imparfaits d’où surgit l’étonnement»1.
Tout au début de la résidence, Mariani souhaitait créer une «cartographie émotionnelle»2. Pour ce faire, elle a provoqué des moments de rencontres avec des bénévoles, soit par le biais de contacts de LA CHAMBRE BLANCHE, ou d’interactions informelles avec des personnes croisées dans la rue ou dans des lieux publics de la ville de Québec. Elle a ensuite proposé à ces personnes de mener une recherche sur l’idée de l’intimité. Selon Mariani, l’intimité est «ce que nous aimons et que nous ne voulons pas que les autres voient»3. L’intention de l’artiste est d’abord d’entrer dans l’intimité des personnes rencontrées, de causer une intrusion voyeuse de manière respectueuse et humaine avec l’AUTRE, puis d’amener les bénévoles à réfléchir sur leur propre définition de l’intimité par le truchement de la photographie. Une fois les clichés recueillis, elle redonne un sens aux images telle une metteuse en scène, en les retravaillant et en les disposant dans l’espace selon sa signature artistique.
La proposition finale de cette recherche à la fois personnelle et collective est composée des clichés des huit participantes et de ceux de Michela. Dans la salle, sur un des murs, les photos intimes sont disposées à la manière d’une cartographie des rencontres de l’artiste. À gauche de la cartographie, une projection fait défiler des photos provenant des comptes Instagram des bénévoles, révélant l’antinomie entre la photographie du quotidien et de l’intime et la photographie contrôlée, trafiquée, mise en scène. Ici, les clichés du quotidien sont fixes, collés au mur en de petits formats. Ils ne peuvent pas se cacher, affirmant leur présence dans l’espace. Le visiteur doit s’en approcher afin de bien en apprécier le contenu. Les images révèlent juste ce qu’il faut d’intime et de mystère. Une fois près du cliché, un certain malaise peut s’installer, causé par cette curiosité envers un secret volontairement partagé. Les images des comptes Instagram, quant à elles, défilent à l’infini tel un flux interminable d’images interchangeables. Dans la galerie, seuls ces deux murs sont investis, laissant planer l’idée que ce qui est présenté n’est en fait que la pointe de l’iceberg.
- Entrevue accordée à LA CHAMBRE BLANCHE dans le cadre de sa résidence. [En ligne] : https://vimeo.com/365197034 (page consultée le 27 novembre 2020).
- Ibid.
- Ibid.