Au printemps 2013, LA CHAMBRE BLANCHE invitait So Kanno pour une résidence. Originaire de Tokyo, l’artiste avait l’habitude de produire des œuvres «accrocheuses» à l’image de la ville, bruyante et animée. Confronté au calme du lieu, dans une optique de recherche davantage que de production, l’artiste japonais a choisi de s’intéresser à l’infime en portant attention aux bruits quasi imperceptibles de son quotidien. Dans l’exposition Objects of sound, il nous invite à porter pleine attention au son en tant que phénomène par quatre installations différentes. À cet égard, le titre de l’exposition est énigmatique: s’agit-il de l’objet qui produit le son, ou bien le son qui est lui-même considéré comme objet?
Lors de sa résidence, So Kanno a cherché à explorer les bruits émanant de petits objets les plus banals. Les composants, majoritairement en métal – un bol en inox, un fer à repasser, une corde de guitare, un roulement à billes – ont servi à la construction de ses installations. À ces objets trouvés correspondent des sons trouvés: «J’ai eu cette idée lorsque mon évier a bouché et que la vaisselle flottait dans mon lavabo. Le son était magnifique», explique l’artiste. Grâce à ses connaissances en robotique, l’artiste a cherché à reproduire de façon mécanique les bruits du quotidien, tels le son de gouttes d’eau qui tombent, le bourdonnement du réfrigérateur, etc. Les évènements discrets du réel deviennent ainsi le matériau de ses œuvres.
À la simplicité des composants s’ajoute une simplicité formelle des installations. L’aspect visuel s’efface devant l’aspect sonore. Les sons étant à peine audibles, ils exigent de surcroît toute l’attention du spectateur. L’efficacité de cette esthétique minimaliste permet d’apprécier la poésie de la mécanique. Tour à tour, les installations émettent soit un bourdonnement, dont le spectateur peut noter les variations, soit une pulsation régulière. Les sons obéissent à une structure récursive et organisée, pleinement maîtrisée par un système cinétique. Les mouvements qui les provoquent sont toutefois presque imperceptibles: la corde de guitare vibre à peine, les billes et les gouttes d’eau qui tombent au sol ne se voient pas, tandis que le son dans le bol d’acier est produit par son champ magnétique. So Kanno a donc cherché le seuil minimal de la perception d’un mouvement quelconque. Seul l’écho sonore témoigne d’une impulsion.
Les sons ainsi créés invitent le spectateur à une expérience sensible. Que ce soit par la forme continue ou la forme répétitive, l’écoulement du temps semble vouloir s’arrêter. La tonalité (grave ou aiguë), la durée et la résonnance dans la pièce transforment et activent l’expérience spatio-temporelle. L’exploration des diverses qualités plastiques des bruits écoutés conduit dès lors à une construction architecturale sonore. Le son est intégré à une définition élargie de la sculpture: comme un matériau sculptural, un objet immatériel qui peut être mis en forme, manipulé et organisé dans le temps et dans l’espace.
Toutefois, cette structuration du son comme matière ne conduit pas à l’élaboration d’un discours musical. S’il y a narrativité sonore, elle n’apparait qu’à travers les références aux objets, aux éléments visuels de l’installation. C’est pourquoi So Kanno a choisi de ne pas utiliser de système électroacoustique, mais plutôt d’offrir des objets capables de soutenir visuellement l’audition. Les sons sont regardés et pas seulement écoutés. La vapeur qui s’échappe à chaque goutte qui tombe et l’oxydation progressive de la plaque d’acier accentuent l’importance accordée à la visualité. Cette vapeur est associée à celle du fer à repasser, objet du quotidien d’ailleurs intégré à l’installation.
En renonçant au microphone, le son est créé à même le lieu et dans l’instant présent. Les œuvres sont pleinement indépendantes, créées sur la base d’une mécanique simple empruntée à celle du haut-parleur. En effet, les installations agissent grâce à un aimant qui sert, par exemple, à faire vibrer la corde d’une guitare ou à actionner une tige de métal dans le champ magnétique d’un bol. Résonnant sans effort grâce à l’acoustique de la pièce, chaque son est porteur d’une charge poétique: ils évoquent le son sacré du gong et les pulsations de la nature. Les œuvres de l’exposition Objects of sound agissent ainsi, selon un mécanisme clôt et indépendant, à la manière de créatures artificielles. Elles permettent, par la multiplication du sensoriel, de vivre et d’entendre la réalité dans ce qu’elle a de fondamentalement expérimental. So Kanno dresse une passerelle entre les motifs ordonnés des machines de notre quotidien et les énergies mystérieuses de l’univers.