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b 31
éditions
la Chambre Blanche
bulletin n°31 - 2007
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la Chambre Blanche
bulletin n°31 - 2007
Préface

Cette 31e édition du Bulletin de LA CHAMBRE BLANCHE conserve la trace du passage d’artistes sensibles à leur expérience de divers espaces. L’élaboration des œuvres produites en cette année 2006-2007 fut agrémentée de rencontres, de collaborations et de discussions donnant lieu à des réflexions concernant ces endroits où l’humain vit, ainsi que le contexte dans lequel il évolue.

Ces explorations concernant la spatialité se sont déclinées en des propositions variées. L’univers de l’atelier de l’artiste, la temporalité propre à cet espace de création et le type de gestes posés furent d’abord explorés. L’attention d’un artiste mexicain posée sur les espaces de la vie quotidienne, interrogeant le rapport que l’homme entretient avec les matières résiduelles qu’il produit. Des performances sonores inspirées d’œuvres issues de la collection Prêt d’œuvres d’art (CPOA) ont ensuite pris place entre les murs de la galerie de LA CHAMBRE BLANCHE, puis au Musée national des beaux-arts du Québec.

Les grands espaces inhabités où surviennent des catastrophes naturelles firent l’objet d’œuvres installatives et performatives portant un regard sur les mécanismes développés par la société pour nous les faire voir. De manière plutôt grandiose, la salle d’exposition fut remodelée à l’aide de formes tridimensionnelles construites en contreplaqué, mettant à l’épreuve la compréhension du visiteur de l’espace et de l’objet. Pour terminer, il fut question de l’espace urbain et des stratégies que l’homme emploie afin que son environnement réponde le plus efficacement possible à son rythme de vie effréné.

De la part du collectif de LA CHAMBRE BLANCHE, je vous souhaite une bonne lecture.

Camille Bernard-Gravel
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Index
1. Manon de Pauw, Michel Forest Un atelier à soi du 7 août au 24 septembre 2006
2. Mariana Gullco Jetables du 10 novembre au 17 décembre 2006
3. Collection 1 Les Patenteux du Québec: Soirées de performances sonores «La Collection» du 25 janvier au 1 mars 2007
4. Julie Andrée T. Étude d’un phénomène ou l’invention d’un souvenir du 26 janvier au 25 février 2007
5. Alexandre David J’ai déjà ressenti cela, mais… du 16 mars au 27 avril 2007
6. Eduardo Valderrey Habitant du Malpays du 11 mai au 10 juin 2007
1. Manon de Pauw, Michel Forest. Un atelier à soi. du 7 août au 24 septembre 2006

Un atelier à soi

par Nathalie Côté
Manon de Pauw, Michel Forest du 7 août au 24 septembre 2006

En résidence de création à LA CHAMBRE BLANCHE pendant l’automne 2006, Manon de Pauw et Michel Forest ont transformé l’espace de la galerie en studio, permettant au public de voir à la fois les objets ayant servi à la création des images et le résultat final. Les deux artistes ont baptisé leur studio de carton et de papier: La petite fabrique du temps. Ils ont produit sur place une série d’explorations vidéographiques jouant avec les mécanismes de l’horloge comme ceux de l’image vidéo. Cette résidence a permis à Manon De Pauw de poursuive en duo son exploration ludique des spécificités de l’art vidéographique.

crédit photo: Ivan Binet

crédit photo: Ivan Binet

Manon De Pauw a créé avec Michel Laforest un véritable décor pour les vidéos où les artistes se mettent en scène dans un univers en noir et blanc (quoique filmé en couleurs). Ces vidéos évoquent à la fois les débuts du cinéma et les premiers films expérimentaux voire les premiers temps de la télévision. Les deux artistes ont fabriqué des horloges de papiers, des cercles, des spirales, des cadrans découpés dans des cartons, un sablier: autant de motifs qui ont été des prétextes à divers jeux. Les bandes vidéo devenant elles-mêmes un marqueur de temps étaient diffusées de différentes manières: sur des moniteurs très petits, sur des écrans de télévision ou projeté au mur.

La petite fabrique du temps traite de «l’accélération de nos rythmes de vie» tel que l’expliquent les artistes, mais il est aussi le lieu d’une exploration de la temporalité spécifique des images en mouvements. Pendant la résidence, le public pouvait élaborer ses propres jeux sur une table installée dans le studio éphémère. C’était à la fois interactif et instructif. Une bande vidéo montre les artistes en train de s’échanger les bouts de cartons rectangulaires (les heures) assis autour de cette même table (le cadran). Cette façon de faire de la vidéo en utilisant des papiers découpés est très proche du bricolage et du dessin. Ces divers jeux d’atelier aux référents explicites n’en basculent pas moins vers l’abstraction, tant ils apparaissent comme les expressions de préoccupations formelles plus que narratives.

crédit photo: Ivan Binet

crédit photo: Ivan Binet

L’art vidéographique comme un des arts plastiques

Depuis le début des années 2000, Manon De Pauw a en effet développé un travail vidéo porté par une attitude de plasticienne. Une attitude renchérie par une production vidéo où sont à l’œuvre des procédés low tech. Ce sont le plus souvent des bricolages de papiers ou des performances que l’artiste exécute dans son atelier. Dans Replis et articulations (2004), on la voit dessiner les motifs qui formeront les images. Dans la vidéo Au Travail (2003) l’artiste est étendue au sol sur un lit de feuilles de papier. Chez elle, la production des images est toujours doublée d’une diffusion des bandes vidéo qui explore les différentes modalités de présentation de l’image (projection au sol, au mur, sur divers supports-écrans). Ces différentes façons de présenter les vidéos correspondent et répondent aux images favorisant une mise à distance des évidences des images filmées. La dimension critique des vidéos de Manon De Pauw agit ainsi sur deux plans. À la fois dans la formation des images et dans leurs diffusion. Elle met ainsi en lumière deux aspects fondamentaux et spécifiques de l’art vidéographique.

Les œuvres vidéographiques de Manon De Pauw pourraient aussi être envisagées comme des portraits de l’artiste dans son atelier. Mais, ce n’est pas tout à fait cela. Dans la plupart de ses productions, l’artiste s’affiche à la fois comme motif et productrice de motifs. Elle est tantôt une ligne ou un point, tantôt elle est celle qui trace la ligne et le point, mettant en valeur la signification relative des signes. Les couleurs (principalement le noir et le blanc), les motifs, les gestes et les corps ont un caractère générique. Parce que l’artiste utilise son corps comme un motif parmi d’autres, cela évite que l’autoreprésentation ne bascule dans une forme de narcissisme et qu’elle soit l’expression de ses états d’âme, sans que cela soit cependant totalement exclu. En fait, les questionnements existentiels concernent le travail d’atelier, l’artiste et son œuvre. C’est peut-être une des forces du travail vidéo de Manon De Pauw. Il agit sur la production de l’image vidéo et dans leur présentation, jouant autant dans sa profondeur que sur sa surface. L’artiste en est à la fois l’objet et le sujet. En cela, on pourrait dire qu’elle agit comme son propre Pygmalion.

Nathalie Côté
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2. Mariana Gullco. Jetables. du 10 novembre au 17 décembre 2006

Jetables

par Valérie L'Italien
Mariana Gullco du 10 novembre au 17 décembre 2006

Dans son exposition in situ intitulée Jetables, où se mêlent le sculptural et le pictural, l’utilitaire et le décoratif, Mariana Gullco associent divers types d’objets dans l’espace pour créer en les accumulant des ensembles très aérés, suggérant à la fois le vaste et le léger. L’artiste venue du Mexique à LA CHAMBRE BLANCHE pour un échange à visée artistique, s’inspire entre autres de son intégration ponctuelle à un nouveau milieu et de son observation de quelques-unes des habitudes domestiques et culturelles des Québécois. De ces observations naissent ses œuvres, élaborées à partir de matériaux usuels comme des récipients en carton ciré ou encore des filtres à café.

crédit photo: Ivan Binet

crédit photo: Ivan Binet

Tout au fond de la salle d’exposition, des gobelets à café blancs inutilisés sont étalés sur le plancher, puis grimpent sur le mur et jusque au plafond. Petits dômes collés les uns aux autres, ils forment des amoncellements et semblent se multiplier à l’infini tout en produisant l’impression d’un mouvement perpétuel. La forme engendrée par cet assemblage évoque de nombreux volumes naturels : des molécules agglutinées, de la mousse répandue sur le sol d’un sous-bois, une avalanche de boules de neige, un ciel ennuagé, des glaciers partant à la dérive ou des sommets immaculés… La quantité impressionnante des gobelets ainsi combinés renvoie vite à l’idée de surplus, de dépotoir.

Sur un autre mur de la salle, des filtres à café usagés en papier de couleur écrue, tachés par un marc d’un brun un peu plus foncé, sont cousus par petits groupes. Une mince ligne très discrète d’un bleu turquoise, brodée avec du fil sur chacun des filtres, sert à délimiter les deux teintes de brun du papier. La finesse de cette trace microscopique, apposée comme une signature sur chaque filtre, témoigne de l’attention et de l’observation minutieuse à laquelle se prête Mariana Gullco pour poétiser l’objet. L’élégance et la délicatesse, contrastant avec l’aspect brut des matériaux initiaux, des rebuts, font immédiatement surgir l’idée du paradoxe.

crédit photo: Ivan Binet

crédit photo: Ivan Binet

La sculpture en bas-relief résultant de cette composition essentiellement monochrome et d’apparence organique rappelle une masse de champignons s’agglutinant sur l’écorce d’un tronc d’arbre. En réunissant ces simples artefacts, portant encore la marque de leur usage en un magnifique essaim de fibres, Mariana Gullco simule la nature vivante, tant par le rappel de l’origine végétale du matériau que par celui d’un rituel domestique répandu, la préparation du café.

Des agrandissements photographiques de quelques-uns des filtres utilisés par l’artiste sont présentés sur le mur adjacent à la sculpture. Ces détails de l’œuvre recréent la cartographie de paysages imaginaires, reproduits en grand format, suggérant le parcours sinueux d’un ruisseau, traversant les sables d’un désert, comme une fissure dans un erg.

Voilà que, devant la talle de gobelets à café champignonnant tel de la mousse en forêt et la masse de filtres usagés, détournés de leur fonction initiale pour être enjolivés, nous éprouvons la sensation physique et bien réelle d’un envahissement. Nous suffoquons face à la somme des objets jetables réunis par l’artiste en l’espace de quelques jours seulement, un poids plume de matière, mais qui pèse lourd lorsqu’on en constate l’abondance. Une impression d’étouffement nous envahi, comme l’écho d’un essoufflement planétaire. L’accumulation et l’empilement d’artefacts ou de simples produits dérivés du pétrole nous reconduit (ramène) presque inévitablement aux concepts d’expansion et d’invasion. Et, cette mince ligne bleue d’une finesse étonnante au sein de l’amas d’objets homogène disposé sur presque toutes les surfaces de la galerie, devient comme un brillant brin d’espoir, la trace d’une crue, d’une éclaircie. Elle trace une limite, elle cite la marque, le passage, le quotidien de l’autre, du consommateur, de celui qui a pris le café. Elle est signe d’humanité, trait lumineux sur la monotonie, expression subjective à travers la série.

Par l’entremise des travaux d’aiguille, Mariana Gullco tend à concilier les métiers d’artiste et d’artisan tout en réaffirmant le potentiel fertile du métissage à tous les niveaux. Unissant les procédés, alliant divers matériaux industriels au sein d’ensembles esthétiques, elle rehausse, transforme et redonne de la volupté à des motifs décoratifs commerciaux. Ainsi, à l’entrée de la salle d’exposition de LA CHAMBRE BLANCHE, elle fixe au mur quatre supports en plastique blanc. Sur chacun est posé un rouleau, soit de papier hygiénique, soit d’essuie-tout. Des motifs, d’inspiration florale ou marine, sont brodés à la main sur le papier, de manière à nous révéler une autre facette du travail de l’artiste, beaucoup plus raffinée, plus élaborée. Le même fil bleu, qui sert aussi à relier les filtres à café entre eux, est cousu sur le papier sous la forme de minuscules vagues spiralées ou encore de petites fleurs subtiles et se superposent aux dessins ornementaux gaufrés du produit manufacturé comme de légères touches de couleurs chaudes et éclatantes.

Trouver des matières textiles dans l’atelier d’une artiste n’a rien d’étonnant. Mais, la spécificité du travail de Mariana Gullco réside justement dans ce qu’elle récupère avec splendeur ces papiers si quelconques dont nous disposons tous les jours. En les agrémentant, elle les singularise. En les métamorphosant, elle les rend rares. Elle engendre une tension permanente, un jeu de glissements perpétuel, entre le commun et le précieux, l’ordinaire et le fantaisiste, l’essentiel et le futile.

Tout comme de nombreux artisans, Gullco semble aborder la substance du point de vue du savoir-faire, de la fabrication. Nous pouvons déceler dans son travail des références à l’art populaire mexicain et l’influence de la longue tradition artisanale indigène, récupérée aujourd’hui par le commerce touristique, voire par l’industrie. Dans le cadre d’une exposition antérieure, Té, l’artiste travaillait à partir de pochettes usagées d’infusions d’herbes médicinales et de feuilles de thé. Elle les avait recueillies par milliers, avec l’aide de plusieurs amis et parents. Elle s’en servait pour créer par assemblage de nouveaux objets utilitaires telle une immense couverture, presque démesurée. Là encore, elle procédait à partir de techniques de fabrication artisanales comme la couture. Pour une autre pièce inspirée du principe taoïste du yin et du yang, c’est le crochet qu’elle privilégiait.

Il y a dans les «jetables» de Mariana Gullco la marque d’une réactualisation des techniques ancrées depuis des siècles dans les moeurs des peuples de l’Amérique tropicale. Que ce soit sans les transformer, par souci de permettre au public de les identifier d’un premier coup d’œil, ou en les enjolivant, Mariana Gullco fait des objets de récupération de véritables souvenirs, des vestiges. Devant ces objets communs formant un univers quasi vivant, l’artiste nous convie à voir, à saisir autrement. Elle stimule notre attention à des notions comme l’infime et l’infini. Nous nous positionnons alors face aux choses, rassemblées dans ces œuvres que l’artiste bâtit, dans un rapport qui n’est pas strictement intellectuel, mais aussi physique et conscient. Un rapport qui nous rappelle la magnifique force d’attraction et d’interdépendance existant entre l’individu et la matière.

L’artiste mexicaine fait aussi souvent appel aux membres de son environnement immédiat pour l’élaboration d’une exposition. Elle les invite à prendre part à son processus de création en les incitant notamment à récupérer des objets du quotidien auxquels elle donne un second souffle. Qu’elle se soit vraiment intéressée à l’humanité, en voilà l’évidence. Ses rebuts portent en eux la faculté d’atteindre l’universel, car c’est la sensibilité de l’humain en chacun de nous qu’ils mettent à l’épreuve. Si elles ne soulèvent pas toujours les débats, ses œuvres poussent du moins le regardeur à se ressaisir de sa responsabilité, de sa liberté et à revisiter son rapport à la matière, au quotidien. L’art permet chez Gullco toute une réflexion sur les ressources infinies, sur l’inscription de l’homme dans l’espace, sur ce qu’Alain Cotta appelait «notre intention à l’égard du monde». En restituant aux objets leur force poétique, l’œuvre nous replace inévitablement devant le problème de l’érosion de la beauté du monde.

crédit photo: Ivan Binet

crédit photo: Ivan Binet

Ce qui marque chez Mariana Gullco est l’intégrité éblouissante et la sensibilité humaine immanente. Par sa prédilection pour les matières usuelles, Gullco a su elle-même créer, en récupérant le cérémonial de l’aiguille, sa propre langue, son «langage pour parler directement au spectateur», comme elle le dit elle-même. Ses inquiétudes sont un moteur de création, là où l’urgence de la création est indissociable de l’importance d’«agir». Rencontrer Mariana Gullco, c’est peut-être se souvenir que l’on témoigne de son propre passage dans un univers que l’on signe par les traces qu’on y laisse, des traces qui prolifèrent. Le monde et la conscience alors, tout comme l’œuvre d’art, restent toujours à refaire.

Valérie L'Italien
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3. Collection 1. Les Patenteux du Québec: Soirées de performances sonores «La Collection». du 25 janvier au 1 mars 2007

Les Patenteux du Québec: Soirées de performances sonores «La Collection»

par Érick d'Orion
Collection 1 du 25 janvier au 1 mars 2007

«Un patenteux, c’est quelqu’un qui fait des affaires que d’autres ont pas faites jamais et puis qui a de l’imagination dedans.»1 – Mathilde Laliberté

Depuis quelques années, LA CHAMBRE BLANCHE présente des soirées de performances audio qui – il n’y a pas de hasard – ont un lien étroit avec le mandat du centre d’artistes, lequel s’articule autour d’une réflexion consacrée aux pratiques installatives et in situ, selon trois avenues: la diffusion, la production et la documentation.2

En ce qui concerne la série La Collection, qui s’est déroulée de janvier à mars 2007, un autre lien s’est concrétisé, soit celui avec les arts visuels actuels, en raison de la participation du Musée national des beaux-arts du Québec, (MNBA) au moyen de sa Collection prêt d’œuvres d’art (CPOA). Le principe est simple et en même temps fort intéressant pour un point de départ stimulant la création d’œuvres sonores spontanées présentées devant public. Ainsi, les artistes sonores invités par LA CHAMBRE BLANCHE choisissent une œuvre parmi la banque d’œuvres visuelles que la CPOA met à leur disposition et s’inspirent de cette dernière pour créer une performance audio. Cette prestation a lieu en présence de l’œuvre même.

Le lien entre l’artiste sonore et l’œuvre visuelle pourrait être cosmétique; combien de fois avons-nous assisté à des performances audio-vidéo sans autres liens que des artifices et des gadgets pour stimuler la vue et l’ouïe ! Mais dans la sélection d’artistes sonores que LA CHAMBRE BLANCHE a effectuée, l’osmose entre le créateur et l’inspiration a été totale au cours des cinq soirées, dont une a été présentée au MNBA, dans la salle dédiée à Jean-Paul Riopelle et son colossal Hommage à Rosa Luxemburg, œuvre choisie par l’artiste pluridisciplinaire Raôul Duguay, figure omniprésente de la culture québécoise depuis la fin des années 60.

Les artistes sonores approchés pour le projet ont un point en commun: l’habileté à travailler avec des nouveaux instruments ou, mieux, à créer une nouvelle lutherie, à créer leur propre instrument, sorte de sculpture audio. Encore ici, un lien se fait entre l’art visuel et l’audio…

Martin Ouellet, 25 janvier 2007

Œuvre sélectionnée: Lointain indéterminé no 3 et no 4, de Jean Lantier, 1998-1999, acrylique sur bois.

Ici, le créateur présente une instrumentation discrète, quasi effacée. Les gens du public se demandent comment Ouellet réussira à produire des sons, assis avec eux, tous dans la même direction, le diptyque flou et étrange de Lantier devant eux.

Un système de boyaux et de cylindres de plastique rigide se rend à la chaise du créateur. On comprend rapidement que les bourdonnements qui viennent à nos oreilles sont contrôlés par le manipulateur-luthier qu’est Martin Ouellet, assis et concentré, bougeant les doigts aux extrémités de ce système «pneumatique»: un compresseur à air enfoui dans les entrailles de LA CHAMBRE BLANCHE fournit les munitions nécessaires aux sifflements produits. Pièce contemplative, savant mélange de hautes et de basses fréquences, le rendu audio est en parfaite concordance avec l’œuvre de Lantier.

Avec une simplicité déroutante, Martin Ouellet performe une courte pièce minimaliste après la lente expérience auditive proposée plus tôt. Une boîte (cannette) de bière percée, attachée à une longue ficelle et qu’il fait tourner au-dessus de sa tête, volera progressivement au-dessus de nos propres têtes. Les variations sont subtiles et l’effet acousmatique est saisissant. Le son que l’auditeur entend diffère selon sa place dans l’espace et selon la vitesse et la hauteur de l’objet.

Maxime Rioux, 8 février 2007

Œuvre sélectionnée : Assemblée phosphorescente, Proposition no 1, de Pierre Bruneau, 1995-1998, pigment phosphorescent et acrylique sur toile.

Le travail audio de Rioux se concentre depuis 1996 sur un système qu’il a inventé, les automates Ki, système qui permet d’animer des instruments acoustiques à l’aide de basses fréquences inaudibles. C’est avec quelques-uns de ces automates que l’artiste crée une trame pour l’œuvre de Pierre Bruneau, un polyptyque composé de plusieurs canevas de différentes grosseurs et qui, à l’œil nu, semblent être vierges. La salle baigne dans une obscurité quasi totale, des projecteurs illuminent les automates en plongée ou en contre-plongée, des fragments d’images (profils de Gainsbourg, portrait de Lénine, etc.) phosphorescentes apparaissent avec l’aide d’une personne manipulant une lampe à forte intensité devant les canevas.

Le travail des automates en mouvement, sculptures primitives composées de cordes, de fils de métal, de lames d’acier, de réceptacles familiers, de baguettes de bois, de cymbales, etc., devient une trame sonore étrange, percussive et tribale, plongeant le spectateur dans une double observation: le mouvement des sculptures et les fragments de personnages sur le mur.

Raôul Duguay, 21 février 2007

Œuvre sélectionnée: Hommage à Rosa Luxemburg, de Jean-Paul Riopelle, 1993, médiums mixtes.

Poème hommage à l’œuvre et à la vie de l’immense Riopelle, la création de Duguay pour l’occasion demeure singulière. Accompagné d’un multiflûtiste et d’une trame sonore sur bande, l’omnicréateur (sic) s’accompagne lui-même à la trompette par moments, livrant une prose évoquant la fresque de trente panneaux de l’artiste décédé en 2002. L’instrument inventé par Duguay, sa poésie phonétique, explore l’imagerie de Riopelle avec habileté et sincérité. Un projet résolument beat, jazz.

Frédéric Lebrasseur, Lyne Goulet et Marco Dubé, 22 février 2007

Œuvre sélectionnée: Dragons et dragonnes, de Fabienne Lasserre, 1998, acrylique sur papier.

Dans cette performance, l’œuvre sélectionnée est littéralement intégrée au processus créatif. Frédéric Lebrasseur, percussionniste et patenteux, et Lyne Goulet, multiflûtiste, demandent au vidéaste et VJ Marco Dubé de créer en temps réel un mix avec les images de l’œuvre de Fabienne Lasserre. Cette création vidéographique, projetée sur un mur, sert d’inspiration à l’improvisation du duo, un peu comme les musiciens à l’époque du cinéma muet qui accompagnaient le film. Donc, les différentes saynètes de Dragons et dragonnes servent d’inspiration à deux niveaux.

Dans la plus pure tradition de la musique actuelle et de l’improvisation, le duo structure une performance qui part du «point a» et va au «point b». Aucun statisme. Beaucoup d’énergie aussi, comme les mouvements et expressions des personnages du polyptyque choisi. La voix, les cymbales, les percussions africaines, le saxophone, les flûtes: l’ensemble recrée de façon efficace et parfois fantaisiste et imagée la trame narrative que compose Marco Dubé dans le choix de son mix vidéo à partir des personnages colorés de Lasserre.

Sabin Hudon et Catherine Béchard, 1er mars 2007

Œuvre sélectionnée: Fascination no 6 et no 7 (dissolution), de Patrick Bernatchez, 2002, acrylique et résine sur miroir et bois.

Dans cette première performance live pour le duo d’artistes multidisciplinaires, nous retrouvons encore des sculptures génératrices de sons, mais dans un autre registre que celui de Maxime Rioux, tant par la sonorité que par l’esthétisme.

Un univers de «micro-sons» de frottements, de bourdonnements, de mélodies aléatoires, de mouvements lents. Des éléments sculpturaux à l’allure fragile contrôlés par deux ordinateurs. Une performance acoustique, puisque les éléments générateurs de sons ne sont pas amplifiés. Les sons produits voyagent subtilement grâce à la réverbération naturelle de l’endroit, les éléments étant disposés un peu partout dans l’espace.

L’œuvre choisie par le tandem est de facture minimale, et la trame sonore proposée est en parfaite synergie avec l’élément. Une performance étonnante, visuellement et auditivement attrayante, surprenante.

  1. Grosbois, Louise de, Raymonde Lamothe et Lise Nantel. 1978, Les patenteux du Québec. Montréal: Éditions Parti pris, p. VIII.
  2. LA CHAMBRE BLANCHE, dans son mandat artistique, a offert au public de Québec une série de performances excitante, contemporaine et surtout pertinente au regard de la thématique proposée. Ces moments de création ont prouvé encore une fois que l’art visuel est un vecteur de création et d’inspiration totalement engagé dans une façon de concevoir, de penser l’art audio et les nouvelles musiques. De surcroît quand les créateurs ont l’âme du patenteux…
Érick d'Orion
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4. Julie Andrée T.. Étude d’un phénomène ou l’invention d’un souvenir. du 26 janvier au 25 février 2007

Étude d’un phénomène ou l’invention d’un souvenir

par Florence Le Blanc
Julie Andrée T. du 26 janvier au 25 février 2007

Du 26 janvier au 25 février 2007, Julie Andrée T. effectuait une résidence in situ à LA CHAMBRE BLANCHE. Les manifestations du travail de cette artiste sont multiple, et ses installations et performances lui valent une reconnaissance internationale. Membre de Black Market International depuis 2002, elle travaille souvent en collaboration avec d’autres artistes dont Dominic Gagnon ou Benoît Lachambre. Elle codirige parfois les créations du collectif PONI et a été membre de la troupe de théâtre expérimental PME, dirigée par Jacob Wren.

crédit photo: Ivan Binet

crédit photo: Ivan Binet

Les relations entre le corps et l’espace occupent une place fondamentale dans les créations de Julie Andrée T. Étude d’un phénomène ou l’invention d’un souvenir s’insère dans un corpus où elle poursuit depuis quelque temps une réflexion sur les relations que l’humain entretient avec la nature. Ce projet s’inspire du grand intérêt que porte la société envers les variations climatiques, particulièrement les catastrophes naturelles qui en découlent, dans un contexte où les médias contribuent souvent à déformer la perception de la population.

Julie Andrée T. a ainsi présenté à LA CHAMBRE BLANCHE une installation qui tente de construire une mémoire fragmentée relatant le souvenir d’une catastrophe naturelle. Elle interprète le climat à partir de références et de médiums variés pour développer une esthétique de la catastrophe où il est difficile d’accéder à l’information.

L’installation se divise en quatre ensembles d’œuvres qui, par leur interaction, élaborent un étrange habitat. Le premier ensemble consiste en trois tableaux composés de carreaux de céramique blanche. Dans le premier tableau, l’un des carreaux est remplacé par un petit écran diffusant des images de volcans en éruption. Deux petits haut-parleurs, qui se substituent à deux carreaux du tableau suivant, transmettent des enregistrements de bruits inquiétants et de récits de catastrophes. De la fumée émerge du troisième tableau par le même procédé. Une vitre placée devant chaque tableau nous empêche toutefois d’entrer directement en contact avec les éléments. Le triptyque évoque une catastrophe naturelle communiquée par trois perceptions sensorielles différentes; la vue, l’ouïe, l’odorat… Ensemble, les tableaux constituent un tout qui énonce un souvenir segmenté.

crédit photo: Ivan Binet

crédit photo: Ivan Binet

Au fond de la salle se trouve une pièce de béton accotée le long d’un mur sur lequel est dessinée la silhouette d’une forêt d’un rouge blanchâtre. À l’envers, les têtes des arbres semblent tomber comme du sang qui aurait coulé du plafond. Sur le mur perpendiculaire, une autre forêt, orientée sur le côté, dégringole jusqu’au plancher. Ce débordement de rouge. qui apparaît comme une réaction à la présence du béton, signale une autre catastrophe naturelle où sont mises en évidence les tensions entre l’homme et la nature.

Le troisième ensemble de l’installation est formé d’une autre pièce de béton appuyée le long d’un mur. À sa droite, des moulages rectangulaires de tapis en plâtre surgissent sur le plancher. Ils semblent flotter au-dessus du sol, comme si le temps s’était arrêté. Nous assistons à une rencontre interrompue. L’aspect figé de la scène est accentué par la lourdeur des matériaux. Une mystérieuse substance qui s’apparente à du sang émerge à la gauche et à la droite de la pièce de béton, évoquant ainsi des accidents. La trace de droite étant plus claire, on peut penser que le deuxième sinistre est plus récent. Les coulées de «sang» confèrent à l’espace un effet pictural qui s’harmonise à des dessins que l’artiste a également choisi d’exposer.

On a l’impression qu’avant qu’on ait pénétré dans la salle, les éléments bougeaient, communiquaient entre eux, et qu’ils se sont subitement figés pour préserver le secret de leur vie. Cet effet suscite un sentiment opposé à celui des trois tableaux qui semblent plutôt vouloir nous communiquer quelque chose qu’on ne peut directement percevoir.

Le spectateur se voit obligé de maintenir une distance avec les éléments. Une distance qui distingue cette résidence des projets précédents de Julie Andrée T. qui traitaient du climat. Lors du projet Prudence Volontaire présenté en 2004 au LOBE, elle avait créé des parloirs-isoloirs situés dans des microclimats conçus pour susciter des situations de rencontres entre les spectateurs. L’idée d’expérience réelle du climat avait également été développée par l’artiste lors du projet Weather Report/Potentiels évoqués, présenté chez SKOL en 2005. À cette occasion, elle avait mis au point des dispositifs dans lesquels on entrait directement en contact avec différents climats conçus artificiellement. Les sens du spectateur pouvaient alors être sollicités par la chaleur, la brume, le vent…

Cette fois-ci, l’artiste nous présente les éléments scellés, comme une bouteille impossible à ouvrir. Si l’expérience sensorielle des œuvres se réduit à la vue, le rôle du spectateur demeure toutefois important. Il doit réunir les fragments qui lui permettront de retranscrire à sa manière le souvenir de la catastrophe naturelle qui a eu lieu.

Julie Andrée T. aime aussi travailler directement à l’extérieur à partir d’éléments réels de la nature. Elle crée parfois des shelters, des abris comme La Salle Commune, présentée en 2005 dans le cadre de l’événement de l’Espace Blanc de Rimouski. Aussi, c’est pendant sa résidence à LA CHAMBRE BLANCHE que Julie Andrée T. a investi les berges de la rivière Saint-Charles durant une journée pour effectuer une performance. Un lieu qui, fragilisé par la pollution, évoque bien la catastrophe naturelle pour l’artiste. L’intervention de Julie Andrée T., produite en collaboration avec Francis Arguin, tente d’établir des liens entre les deux berges de la rivière gelée, soulignant ainsi son aspect éphémère et tourmenté par les conflits liés à ses réaménagements successifs.

Au départ, les deux performeurs incarnent un côté de la rivière. Une corde nouée à la taille les rattache chacun à leur rive, limitant ainsi leurs déplacements S’ensuit alors une série d’actions où les deux protagonistes entrent en contact et organisent un dialogue entre les deux rives. À l’aide de traîneaux et de pelles, ils échangent de la neige. D’autres actions s’effectuent sans interaction comme les appels à l’orignal avec des cônes de circulation. La répétition de leurs déplacements finit par creuser un petit sentier d’eau qui relie les deux rives. La conversation s’établit.

Le lieu se métamorphose progressivement. Des panneaux de circulation parsèment le sentier. Ceux-ci présentent des flèches ou des cercles, toujours disposés dans des sens opposés constituant, comme les cordes, des obstacles à des contacts directs entre les deux rives. Un liquide rouge apparaît au centre de la rivière tel un saignement, signal de détresse. Les tensions générées par les problèmes de communication entre l’humain et son environnement sont ainsi évoquées, comme dans l’installation de LA CHAMBRE BLANCHE.

Outre la série d’actions qu’ils effectuent, les corps des performeurs participent aussi à l’esthétique de l’ensemble. À différentes étapes de la performance, ils se parent de bandes autocollantes. Les bandes portées par Julie Andrée T. sont bleues tandis que celles de Francis Arguin sont rouges. Comme les panneaux de circulation, ils s’intègrent à la nouvelle signalisation du lieu.

Après un certain temps, ils échangent leur position. Chacun termine le demi-cercle de terre dont l’autre avait commencé le dessin. Les bandes autocollantes sont également interchangées. Leurs différences s’estompent progressivement pour révéler deux êtres apparentés par les mêmes couleurs. S’ils ne se sont jamais directement rencontrés, ils ont effectué les mêmes actions et ont fini par se ressembler, par se confondre, se comprendre.

En élaborant une nouvelle signalisation de la rivière, Julie Andrée T. lui donne une voix. Au fil de la conversation, le lieu se métamorphose à partir de références constituées par les éléments naturels ou les objets de circulation. Cette redéfinition des rapports entre un lieu, le corps et des objets connotés amène le spectateur à se questionner sur son identité et son environnement.

crédit photo: Ivan Binet

crédit photo: Ivan Binet

L’intervention de la rivière Saint-Charles se lit comme la mémoire fragmentée qu’évoque l’installation présentée à LA CHAMBRE BLANCHE. Dans les deux cas, la nature interpelle un humain qui comprend difficilement sa détresse. En cultivant une poésie de l’étrange à partir de repères du quotidien, Julie Andrée T. suscite l’effet paradoxal de nous amener vers un ailleurs à la fois inconnu et familier.

Florence Le Blanc
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5. Alexandre David. J’ai déjà ressenti cela, mais…. du 16 mars au 27 avril 2007

J’ai déjà ressenti cela, mais…

par Jacqueline Bouchard
Alexandre David du 16 mars au 27 avril 2007

Alexandre David, bien qu’il déteste les catégorisations disciplinaires, se considère comme quelqu’un qui fait de la sculpture. Il a diverses pratiques qu’il dit secondaires, mais ses préférences vont aux installations sculpturales. Or, ses objets sont aussi des espaces: son travail porte sur la compréhension de l’espace, de l’objet, et leurs rapports complémentaires. Quelquefois, sa sculpture revêt un aspect pictural très fort, mais ses dessins, dit-il, sont davantage des dessins d’architecture.

Pendant cinq semaines, David a transformé l’espace de LA CHAMBRE BLANCHE en atelier de menuiserie: le bois est un matériau agréable à manipuler dit-il, et que l’on peut également récupérer. Les portes ouvertes sur la rue laissaient échapper une fine poussière et des parfums de forêt.

crédit photo: Ivan Binet

crédit photo: Ivan Binet

La première semaine fut occupée à tendre des fils dans l’espace pour tracer une esquisse en trois dimensions. L’artiste est perfectionniste et vingt fois sur le métier il a remis ses idées. En un endroit par exemple, pour éviter de juxtaposer la coupe impeccable du bois à la ligne irrégulière et potentiellement agaçante du plafond, il a préféré laisser un léger espace entre les deux. Au début, la plate-forme finale devait former un L et, conçue en tant qu’objet, elle devait permettre une circulation alentour. Ce concept fut abandonné. Des caissons construits au plafond furent aussi démolis à mi-chemin, après une semaine de réflexion:

«Je les ai enlevés, j’avais l’impression de simplement reproduire le cloître traditionnel, avec son toit et son centre vide. C’était trop connoté. Ça brisait le registre, ça devenait un seul espace alors que je voulais des espaces très différents. Si j’avais un autre six semaines, je les ferais et j’emplirais tout l’espace. Pour voir. Mais il faut toujours des choix.»

crédit photo: Ivan Binet

crédit photo: Ivan Binet

«Quand je suis arrivé à LA CHAMBRE BLANCHE, j’ai vu ici deux systèmes; l’un, parallèle à la rue, est constitué de deux murs avec les poutres au centre, et l’autre est autonome, indépendant par rapport à la rue. Il y a donc deux directions que j’ai voulu exploiter: mettre à profit les poutres, la séparation et une distinction entre deux moitiés.»

Impossible d’apprécier l’installation d’Alexandre David sans effort. Non pas qu’elle soit hermétique, ce dont se défend l’artiste dont le travail ne se veut pas conceptuel, mais plutôt expérientiel. Pour saisir l’intention derrière l’œuvre, il faut donc grimper dessus. J’ai refait avec l’auteur le parcours qu’il nous propose. Je lui laisse la parole.

«Une fois que nous sommes dessus, cela dirige un peu notre trajet, car quand on voit que c’est un sol, qu’il n’y a aucun accès à nulle part. On peut redescendre ou on peut monter. Si on monte, il se produit quelque chose: on réalise qu’il y a vers le fond une courbe qu’on ne voit pas réellement. Ce n’est pas une courbe visuelle, mais une courbe au niveau du sol, qu’on ressent en marchant. Pourquoi cette courbe ? J’ai voulu faire une sorte d’environnement architectural, mais pas dans le sens d’un design, d’un aménagement intérieur où mon installation deviendrait un genre de loft. Il s’agit plutôt de mettre en relation différents types de sensation pour créer quelque chose de singulier, de neuf.»

«Les sensations dont il est question, comme marcher sur un sol ou gravir une pente, sont des sensations architecturales extérieures. Quand on monte une côte, il arrive un point où on ralentit: l’angle devient moins fort, la montée s’aplanit au sommet avant de redescendre. Alors on arrête, on se retourne et on regarde de l’autre côté. De la même manière, ma courbe recrée une sensation extérieure qui incite les gens à se retourner, à voir l’autre côté de l’espace. Cet élément illustre bien mon approche. Je prends appui sur des choses ordinaires du quotidien pour créer des événements.»

«On ressent également que la pente est ronde dans les deux sens, ce qui nous pousse vers les coins, toujours en une sorte de ralenti. Je ne voulais pas que ce soit agressif, que les gens montent en ligne droite et se heurtent sur les caissons. On peut même venir s’asseoir ici, sous le caisson, comme dans une grotte, ou encore protégé par des arbres ou un toit. Diverses sensations architecturales se mélangent. Comme si nous voulions nous protéger du soleil, des intempéries: il y a donc des éléments d’architecture extérieure dans mon installation. En même temps, par la façon dont les murs sont tapissés de contreplaqué, que les formes s’imbriquent dans l’espace et sont pensées en fonction de ce dernier, on revient à une architecture intérieure.»

«En plus des sensations, je mise sur la familiarité des éléments architecturaux comme une hauteur de marche, de banc. Par exemple, à l’endroit où l’on monte dans l’installation, la marche, elle est plus haute que la norme. Mais de l’autre côté, près du mur, cela se rapproche davantage d’une grosse marche dans un parc, ou d’un banc. De plus, l’espace délimité par cette marche (ou ce banc) forme un corridor. Cet environnement est ainsi constitué d’éléments qui rappellent des éléments architecturaux connus. Sauf que la finalité pour moi n’est pas d’évoquer un bâti qu’on connaît déjà. Cela me sert à proposer quelque chose qui, dans sa singularité spatiale, n’est pas vraiment de l’architecture.»

crédit photo: Ivan Binet

crédit photo: Ivan Binet

«Enfin, une particularité de mon approche est de faire un objet qui, tranquillement, devient un espace. La transition se fait doucement dans les deux sens. Ici en bas, la plate-forme ne touche pas le mur, elle agit fait fonction d’objet. Puis elle avance et rejoint le mur, le rencontre et alors se transforme en un lieu. Cela accentue la sensation de tourner un coin, incite à tourner le coin, d’où le titre de ma résidence.»

«Mon travail n’a pas de valeur symbolique, ne dit rien sur le monde. On n’y découvre rien d’autre que ce qu’on éprouve. Au contraire, ces choses-là sont en deçà du travail, c’est le fondement à partir duquel on peut faire l’expérience spatiale. Une fois l’expérience faite, elle n’a pas d’autre signification pour moi. Elle peut cependant être mise en relation avec notre quotidien, notre connaissance de l’architecture, nous inciter à réfléchir sur notre espace, et peut-être alors acquérir une valeur critique à l’instar de tout art qui nous rebranche sur la vie. Mais il n’y a rien à décoder.»

«On pourrait parler d’expérience formelle à la limite. Mais je n’aime pas trop ce mot qui évoque souvent un décalage par rapport à la réalité de tous les jours. Je dirais une expérience perceptuelle, sensorielle, événementielle, mais certes pas intellectuelle même si je peux l’intellectualiser pour réfléchir.»

«Une chose demeure importante, ce ne doit pas être uniquement une expérience visuelle. C’est une rencontre du visuel et de l’usage. Il ne s’agit pas simplement de regarder ou à l’inverse de seulement s’asseoir. C’est une rencontre des deux. Il faut qu’on ne puisse plus les séparer, sinon seulement au niveau du langage. L’œuvre n’est pas qu’un objet fonctionnel. Il faut faire usage de l’espace que l’on voit et pour cela, il faut prendre appui sur notre connaissance essentielle de l’architecture. C’est notre connaissance de tous les jours, par exemple nous hisser sur une chaise quand on est jeune, ou grimper dans une échelle. Il y a bien sûr des moments plus visuels, des images. Lorsqu’on monte, ici, on a une expérience plus frontale, visuelle, qui est remplacée par une sensation lorsque la courbe dans le plancher est ressentie. J’ai modifié cette pente en cours de route, justement afin d’éviter qu’elle ne soit visuellement trop apparente.»

Personnellement, je suis davantage intriguée par l’aspect formel de l’œuvre. Mon corps ne capte pas les subtiles variations que David a induites dans le bâti au prix de manipulations et de calculs extrêmement rigoureux. Je suis plutôt attirée par l’impossibilité logique, la fusion improbable et néanmoins visible de deux dénivellations juxtaposées sur le sol. Ou encore par le fait que la montée ne conduit nulle part. Et simultanément, je suis tentée par le corridor qui semble plus convivial, fait pour circuler parmi d’autres passants.

J’ai voulu, précise David, faire une sorte de symétrie, d’équivalence entre les deux espaces. Il y a en bas un creux pour déambuler et en haut un creux pour s’asseoir. Si tu te lèves, tu te frappes la tête ou sinon tu dois marcher accroupi. C’est donc un espace statique (à partir duquel du peux observer un centre vide) versus un espace déambulatoire (à partir duquel tu peux observer quelque chose qui se transforme en image). Les vides sont des genres de ponctions dans objet. Dans le haut et le bas de la pente, il y a inversion des volumes. J’aime cette notion d’inversion, de volume négatif.

Lorsqu’il entre à LA CHAMBRE BLANCHE, Alexandre David y voit une sorte de place publique, un centre vide (un centre-ville peut-être?) cerné de caissons, avec des murs. Son projet est en continuité avec une tendance qui se développe dans son travail: dans sa démarche comme dans sa pratique, l’objet devient un lieu. Il s’intéresse de plus en plus à l’architecture et réalise de moins en moins des objets circonscrits. Un prochain projet/espace, à Montréal, consistera en une place publique mobile sur roues, avec des caisses ouvrantes en plastique.

Il s’est toujours préoccupé d’espace public architectural, sans savoir pourquoi. Progressivement, ce dernier lui est apparu sous l’aspect d’un nœud, un point focal à partir duquel on prend des décisions collectives. Cet espace public collectif est extrêmement important pour lui: l’agora physique et matérielle infléchit notre façon de travailler ensemble, de construire une communauté. L’architecture, dit-il, participe d’une vision holistique du monde. Elle rejoint toutes les facettes de la vie. C’est une question d’éthique: être généreux avec le monde, aller au-delà de l’individualisme en créant ou en collaborant à la création et à la réflexion critique d’un espace collectif. Ce dernier semble rétrécir constamment, constate l’artiste: «On nous le vend en des termes spectaculaires: voici une nouvelle gare, un nouvel aéroport, un nouveau musée…»

Il préfère travailler à quelque chose de différent, de singulier: «Cela peut être éphémère, car je ne désire pas que mes projets soient installés en permanence sur une place publique.» David souhaite réaliser à petite échelle une réflexion sur l’architecture, qui influencerait le monde et contribuerait à un partage des idées, du sensible. Donc, même s’il prétend que son travail n’est ni politique ni symbolique, il est conscient qu’il se situe dans un espace politique.

«La pratique de l’art, conclut-il, nous entraîne dans la sphère collective puisque l’on s’adresse à l’autre. Cela est encore plus vrai quand l’œuvre s’inscrit dans l’espace public, un lieu qui concerne le public.» Bref, il veut susciter une réflexion sur ce point. Et cela n’exclut pas l’espace rural, même si ses préférences vont à l’urbanité.

Jacqueline Bouchard
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6. Eduardo Valderrey. Habitant du Malpays. du 11 mai au 10 juin 2007

Habitant du Malpays

par Alfonso Arzapalo
Eduardo Valderrey du 11 mai au 10 juin 2007

Une vapeur légère semble émaner de l’asphalte, le bruit des moteurs en marche et la fumée des tuyaux d’échappement se répandent sans interruption bien que les véhicules demeurent quasi immobiles. Des expressions de résignation et d’ennui accompagnent le mouvement à peine perceptible des véhicules qui se déplacent parechoc à parechoc dû au grand nombre d’automobiles entassées sur le viaduc. Sous la trame des voies de béton, un regard anonyme considère l’impossibilité de traverser à pied cette colossale frontière et glisse, ironiquement détaché, jusqu’en face où un espace vacant, produit par cette immense infrastructure, abrite un terrain abandonné. Nous sommes dans une ville quelconque, nous nous déplaçons dans un site quelconque, image familière, paysage faisant partie de notre quotidienneté urbaine, et qui se répète dans la grande majorité de nos cités comme un écho muet que peu d’entre nous se prennent à écouter.

crédit photo: Ivan Binet

crédit photo: Ivan Binet

Nous est-il arrivé une fois de nous demander comment cela a pu arriver, comment il se fait que je me retrouve dans cette situation et qu’elle constitue une partie de mon quotidien?

Sommes-nous sortis une fois des bulles de confort que représentent nos automobiles et avons-nous analysé ce phénomène depuis la perspective humaine d’un piéton? Un environnement qui paraît non conçu pour des êtres humains, où il n’y a ni ergonomie ni sens de la mesure, où la plus essentielle de toutes les activités humaines; habiter, paraît impossible.

Un fait demeure incontestable en dépit de ses contradictions et de sa complexité: les cités sont des pôles d’attraction qui séduisent généralement la collectivité, la poussant à forger son existence au sein de l’une d’entre elles. La majeure partie de la population de la planète habite effectivement dans les zones urbaines et les tendances migratoires indiquent que ce modèle ira en croissant par suite des avantages économiques, politiques et sociaux que comporte la résidence citadine. Cette réalité fait que les villes se convertissent, de plus en plus rapidement, en entités mouvantes et constamment changeantes, résultat de brusques transformations formelles et spatiales. Cela conduisant à mettre en péril leur identité, leurs principes et leur essence, alors que leurs pôles d’intérêts fluctuent et diluent leurs limites, leurs frontières.

Ce que nous définissons à l’heure actuelle comme zone urbaine est en réalité une conjonction de «cités» reliées par des espaces transitoires et résiduels de nature médiatique que nous avons appris à accepter et à domestiquer. Ces espaces proposent un nouveau défi à notre entendement du concept de cité. Espaces versatiles dépourvus d’identité propre, qui se répètent dans tous les grands centres urbains de notre planète, comme une «île qui se répète» dans la mémoire collective de nos villes. Espaces transitoires que nous utilisons principalement comme moyens de déplacement pour nous mouvoir d’une «cité» à l’autre à l’intérieur de nos centres urbains polarisés.

Ces espaces transitoires, dans leur échec à communiquer, divisent et séparent, créant des frontières à l’intérieur du tissu urbain de nos métropoles, désintégrant des quartiers et produisant des espaces résiduels sans aucun usage. Espaces qui sont les résidus d’une méga — infrastructure avant tout automotrice qui laisse dans son sillage des centaines d’espaces inutilisables, espaces transitoires, espaces qui ne procurent pas un état d’être, espaces dépourvus d’intention et finalement d’identité.

Espaces que, par leur nature, nous avons associés à la notion post-moderne de «non-espace non espacé», position idéologique qui par la négation même d’un concept familier et reconnu questionne son essence et révèle sa complexité particulière. Nos métropoles comptent des centaines de ces «non-espaces», lesquels se fondent entre eux pour créer des conglomérats qui occupent de vastes zones de nos centres urbains. Le regroupement de ces «non-espaces» crée à la fin ce à quoi nous pouvons nous référer comme la «non-ville», la négation du concept de ville. Suivant cet ordre d’idée nous pourrions dire que, à produire et vouloir habiter la «non-ville», nous nous convertissons en « non humains » et nos pensées, nos paroles et nos actions sont régies par le «non-esprit».

Ce conditionnement se manifeste dans le fait que, pendant que nous nous efforçons de faire de nos cités des lieux plus commodes et fonctionnels, paradoxalement aussi nous réalisons le contraire en créant des espaces manquant d’identité, qui n’ont pas d’intention précise et divisent, séparent et désintègrent le sens même de la cité, la déshumanisant.

C’est cette complexité intrinsèque, cette particularité apparente qui nourrit le discours et la pratique artistique d’Eduardo Valderrey. Un phénomène spatial de nos centres urbains qui catalyse les réflexions créatrices de l’artiste et qui nourrit le coeur de son projet Malpais. Notion particulière au moyen de laquelle Valderrey fait référence à l’hostilité géographique visuelle qui oppose lesdits lieux dans le tissu de nos cités.1

Le Malpays contemporain: territoires créés et provoqués paradoxalement par nous-mêmes dans notre anxiété de posséder une vie commode et efficace, faisant de ces espaces hostiles une partie de notre quotidien. Laissant de côté toute stimulation esthétique et formelle que ces espaces peuvent procurer, la «non-ville» propose de nouveaux défis à la forme selon laquelle nous concevons, habitons et comprenons la ville. La questionnant dans les profondeurs de son essence.

Combien de fois nous sommes-nous attardés ne serait-ce que quelques instants à admirer cette herbe discrète poussée à la surface du ciment même, au milieu du trottoir? Une petite plante fragile qui a trouvé la force de jaillir au milieu de l’asphalte d’une rue, ou au cœur d’un escalier de béton, et qui grandit discrètement en souriant, comme si elle se savait victorieuse d’une lutte silencieuse que par la suite nous ignorons. Cette petite herbe qui avec le temps, qui sait et pourquoi pas, pourrait se transformer en un grand arbre fruitier et en ombre, et qui sans savoir pourquoi nous emplit d’un parfum d’espérance.

De la même manière, le travail d’Eduardo Valderrey jaillit comme cette herbe au milieu de l’asphalte, perturbant son entourage tout naturellement. Créant une architecture à l’intérieur d’une autre, installant des structures qui perturbent l’architecture existante et les utilisant comme des écrans, Valderrey déconstruit nos notions de ville articulée à partir de projections d’images qui décrivent ce Malpays contemporain à partir d’une bande sonore qui magnifie l’environnement visuel. Pendant que, simultanément, il perturbe nos paramètres préconstruits en faisant fleurir un brin de questionnement et de réflexion au milieu de nos notions préétablies de la ville. Ainsi le Malpays de Valderrey est fertile en stimulations qui nous portent à réfléchir sur la nature des espaces que nous habitons. Sur le concept de cité et la forme selon laquelle nous souhaiterions l’habiter, et aussi, alimentant le désir de la modifier.

L’idée de changer nos cités au nom d’un plus grand bien-être commun, et son potentiel latent n’est pas un concept nouveau. Au contraire, c’est un concept persistant qui nous accompagne depuis le siècle dernier. Abordé par les sociologues, philosophes, urbanistes, architectes et artistes, la transformation de nos cités, jusqu’à maintenant utopique, rejoint le cœur de nos enjeux sociaux les plus cruciaux. Henri Lefebvre nous rappelle dans son essai Quotidien et Quotidienneté 2 que pour changer la vie il est nécessaire de changer la société, l’espace, l’architecture et la cité. Ainsi le désir de changer la ville se retrouve au centre d’un discours social familier. Il faudra alors insister sur le fait que pour changer nos villes il faut changer les concepts mêmes qui les concernent. Michel de Certeau, précisant sa notion de cité concept au septième chapitre de son livre L’invention du quotidien3 nous rappelle la symbiose intrinsèque qui existe entre la cité et son concept. Le premier pas pour changer la ville est de redéfinir son concept, et avec lui redéfinir nos concepts d’urbanisme et d’architecture.

Il convient de signaler que derrière ce questionnement conceptuel à propos de la ville réside la forme selon laquelle nous appréhendons le concept d’habiter. Encore embourbés dans l’inertie du modernisme que nous n’avons pas encore réussi à remettre en cause et à questionner, nous poursuivons selon un modèle de pensée qui accorde une importance démesurée à l’automobile comme part intégrale et indispensable de l’humain, comme une extension de son être et une manifestation matérielle du confort et de la commodité que signifie vivre dans un centre urbain. Jusqu’à ce que nous questionnions cette pensée et mettions en balance les préjudices et bénéfices que cela exerce sur nos espaces vitaux, nous pourrons commencer à reconstruire nos concepts de ville et rompre l’inertie polarisante de désarticulation urbaine qui est une constante de nos villes et qui nous a conduits à habiter volontairement des espaces hostiles au sein du Malpays que nous continuons à alimenter jour après jour.

crédit photo: Ivan Binet

crédit photo: Ivan Binet

Comme dans le paradoxe du Dr. Frankenstein, nous avons créé un monstre dont nous avons perdu le contrôle. La zone métropolitaine, composée de «villes» et «non-villes» par exemple, paraît grandir par elle-même, comme si elle avait une vie propre. Piégés par son inertie, paralysés, nous voyons comment nos centres urbains loin de reconstruire leurs espaces, nous proposent des environnements hostiles dénués d’intention. On dit que ces espaces reflètent un manque d’identité personnelle, sociale et collective, ils se répètent en nombres variés un peu partout. Rappelons-nous alors que ce concept de «perte» d’identité nous parle d’une profonde amnésie collective qui nous empêche de nous rappeler que nous sommes nous-mêmes ceux qui créent ces lieux et environnements que nous habitons, et que nous sommes ceux qui créent ce que nous connaissons et comprenons comme une ville.

Si par moment il nous paraît avoir créé un Frankenstein urbain, en réalité il nous revient à nous de l’alimenter ou de l’asphyxier. La partie la plus importante de recouvrer une identité étant de se savoir responsable et capable de transformer le site où un individu habite.

  1. Rappelons que les êtres humains, tout au long de l’histoire de l’exploration, ont rencontré tous les types de territoires. Depuis les lieux abondants et fertiles qui convenaient à leurs besoins et facilitaient leur bien-être, les incitant à s’établir, jusqu’aux territoires hostiles, terres agrestes inhospitalières qui ne les invitaient point à s’arrêter et que généralement ils ont su éviter et respecter. Ce furent ces territoires que les explorateurs anglais nommèrent badlands, les terres mauvaises. Le concept traduit et transposé en espagnol comme Malpais sert à décrire ces territoires non seulement agrestes et hostiles, mais aussi infertiles par suite d’une absence d’usage humain.
  2. Lefebvre, Henri. 1972 «Quotidien et Quotidienneté», Encyclopaedia Universalis, vol. 13, Paris: Éditions Claude Grégory. p. 152.
  3. Certeau, Michel de. 1970, L’invention du quotidien. Paris: Éditions Gallimard. 416 p.
Alfonso Arzapalo
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