b 31
éditions
la Chambre Blanche
bulletin n°31 - 2006
* Manon de Pauw, Michel Forest. Un atelier à soi. du 7 août au 24 septembre 2006

Un atelier à soi

par Nathalie Côté
Manon de Pauw, Michel Forest du 7 août au 24 septembre 2006

En résidence de création à LA CHAMBRE BLANCHE pendant l’automne 2006, Manon de Pauw et Michel Forest ont transformé l’espace de la galerie en studio, permettant au public de voir à la fois les objets ayant servi à la création des images et le résultat final. Les deux artistes ont baptisé leur studio de carton et de papier: La petite fabrique du temps. Ils ont produit sur place une série d’explorations vidéographiques jouant avec les mécanismes de l’horloge comme ceux de l’image vidéo. Cette résidence a permis à Manon De Pauw de poursuive en duo son exploration ludique des spécificités de l’art vidéographique.

crédit photo: Ivan Binet

crédit photo: Ivan Binet

Manon De Pauw a créé avec Michel Laforest un véritable décor pour les vidéos où les artistes se mettent en scène dans un univers en noir et blanc (quoique filmé en couleurs). Ces vidéos évoquent à la fois les débuts du cinéma et les premiers films expérimentaux voire les premiers temps de la télévision. Les deux artistes ont fabriqué des horloges de papiers, des cercles, des spirales, des cadrans découpés dans des cartons, un sablier: autant de motifs qui ont été des prétextes à divers jeux. Les bandes vidéo devenant elles-mêmes un marqueur de temps étaient diffusées de différentes manières: sur des moniteurs très petits, sur des écrans de télévision ou projeté au mur.

La petite fabrique du temps traite de «l’accélération de nos rythmes de vie» tel que l’expliquent les artistes, mais il est aussi le lieu d’une exploration de la temporalité spécifique des images en mouvements. Pendant la résidence, le public pouvait élaborer ses propres jeux sur une table installée dans le studio éphémère. C’était à la fois interactif et instructif. Une bande vidéo montre les artistes en train de s’échanger les bouts de cartons rectangulaires (les heures) assis autour de cette même table (le cadran). Cette façon de faire de la vidéo en utilisant des papiers découpés est très proche du bricolage et du dessin. Ces divers jeux d’atelier aux référents explicites n’en basculent pas moins vers l’abstraction, tant ils apparaissent comme les expressions de préoccupations formelles plus que narratives.

crédit photo: Ivan Binet

crédit photo: Ivan Binet

L’art vidéographique comme un des arts plastiques

Depuis le début des années 2000, Manon De Pauw a en effet développé un travail vidéo porté par une attitude de plasticienne. Une attitude renchérie par une production vidéo où sont à l’œuvre des procédés low tech. Ce sont le plus souvent des bricolages de papiers ou des performances que l’artiste exécute dans son atelier. Dans Replis et articulations (2004), on la voit dessiner les motifs qui formeront les images. Dans la vidéo Au Travail (2003) l’artiste est étendue au sol sur un lit de feuilles de papier. Chez elle, la production des images est toujours doublée d’une diffusion des bandes vidéo qui explore les différentes modalités de présentation de l’image (projection au sol, au mur, sur divers supports-écrans). Ces différentes façons de présenter les vidéos correspondent et répondent aux images favorisant une mise à distance des évidences des images filmées. La dimension critique des vidéos de Manon De Pauw agit ainsi sur deux plans. À la fois dans la formation des images et dans leurs diffusion. Elle met ainsi en lumière deux aspects fondamentaux et spécifiques de l’art vidéographique.

Les œuvres vidéographiques de Manon De Pauw pourraient aussi être envisagées comme des portraits de l’artiste dans son atelier. Mais, ce n’est pas tout à fait cela. Dans la plupart de ses productions, l’artiste s’affiche à la fois comme motif et productrice de motifs. Elle est tantôt une ligne ou un point, tantôt elle est celle qui trace la ligne et le point, mettant en valeur la signification relative des signes. Les couleurs (principalement le noir et le blanc), les motifs, les gestes et les corps ont un caractère générique. Parce que l’artiste utilise son corps comme un motif parmi d’autres, cela évite que l’autoreprésentation ne bascule dans une forme de narcissisme et qu’elle soit l’expression de ses états d’âme, sans que cela soit cependant totalement exclu. En fait, les questionnements existentiels concernent le travail d’atelier, l’artiste et son œuvre. C’est peut-être une des forces du travail vidéo de Manon De Pauw. Il agit sur la production de l’image vidéo et dans leur présentation, jouant autant dans sa profondeur que sur sa surface. L’artiste en est à la fois l’objet et le sujet. En cela, on pourrait dire qu’elle agit comme son propre Pygmalion.

Nathalie Côté
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