b 40
éditions
la Chambre Blanche
bulletin n°40 - 2017
* Marco Casella. Tonal Landscape Generator. du 7 août au 11 septembre 2017

Tonal Landscape Generator

par Anne-Sophie Blanchet
Marco Casella du 7 août au 11 septembre 2017

Le paysage n’existe qu’à travers le regard de celui qui le contemple. C’est un point de vue, une construction de l’esprit et du regard sur la nature…une création. À preuve, le terme paysage n’apparait en Occident qu’avec l’avènement de l’humanisme, lorsque l’individu prend conscience de lui-même et de la place qu’il occupe dans le monde. C’est donc le spectateur qui fait le paysage, comme c’est lui qui fait le tableau, pour reprendre la jolie formule de Marcel Duchamp1.

crédit photo: Marco Casella

crédit photo: Marco Casella

Or, lors de sa résidence à LA CHAMBRE BLANCHE, l’artiste italien Marco Casella exposait un paysage d’une tout autre nature. Ici, rien à contempler : seulement des sons et quelques objets qui, comme le souligne l’artiste2, sont des traces du processus de création – les témoins d’une démarche – et non pas l’œuvre en elle-même. Ainsi, lorsque les visiteurs franchissaient le seuil de la galerie, ils ne se retrouvaient pas devant un paysage, mais bien à l’intérieur de celui-ci. Un paysage de sons, un paysage à reconstruire, à expérimenter, à intérioriser.

crédit photo: Marco Casella

crédit photo: Marco Casella

La pratique de Casella s’articule autour de l’utilisation de sons et d’images issus du quotidien et du web pour concevoir des œuvres immersives. Ce contenu sonore et visuel est donc transformé, manipulé, muté à travers différents dispositifs technologiques afin de créer des environnements à la fois conceptuels et formels où le temps, l’espace et les données numériques sont utilisés comme un langage pouvant amener le spectateur au-delà de ce qui est d’abord perçu.

Dans le cadre de sa résidence, l’artiste a travaillé à la conception du projet Tonal Landscape Generator. Celui-ci consistait à créer un paysage à partir de sons captés aux quatre coins de la Ville de Québec. Muni d’un appareil photo, d’un microphone et d’un accordeur à guitare, Casella a exploré la Vielle Capitale à la recherche de lieux significatifs, c’est-à-dire des sites emblématiques/touristiques, mais aussi des endroits moins connus qui, à d’autres égards, contribuent à rendre la ville unique. Dans ces lieux, l’artiste a enregistré les sons ambiants. Puis, en les transmettant à l’accordeur de guitare, il a mis en évidence les changements de tonalité qui modulent l’environnement sonore de la cité.

crédit photo: Marco Casella

crédit photo: Marco Casella

En d’autres mots, le dispositif permettait d’appréhender les sons provenant de la trame urbaine comme un véritable matériau pouvant ensuite être manipulé et orchestré au sein d’une installation immersive où la ville était, en quelque sorte, synthétisée. Dans la galerie de LA CHAMBRE BLANCHE, le son sculptait ainsi l’espace d’exposition, générant une ambiance ancrée dans la réalité de Québec, mais qui, paradoxalement, propulsait les auditeurs complètement ailleurs.

crédit photo: Ivan Binet

crédit photo: Ivan Binet

Concrètement, le dispositif Tonal Landscape Generator traduit des lieux en sons. Il les cartographie et les codifie de manière à générer un nouvel espace de représentation. Casella agit alors comme un directeur artistique ou un chef d’orchestre qui agence les sons et les données numériques afin de proposer un nouveau paysage, à mi-chemin entre la réalité et le virtuel, le tangible et le conceptuel.

À travers cette installation, Casella relativise l’influence qu’il exerce sur son environnement en démontrant que c’est avant tout le monde qui l’entoure qui transforme son regard, et non l’inverse. Il remet également en contexte l’importance de la technologie dans notre manière d’interagir avec la nature, les choses et les individus qui traversent notre quotidien. Ainsi, contrairement à ce que l’on avançait en introduction, ce n’est plus le paysage qui se construit à travers l’œil de celui qui le regarde – en l’occurrence l’artiste –, mais le contraire. Du moins, le paysage n’existe plus uniquement à travers sa seule interprétation. Il en résulte une toute nouvelle manière de concevoir l’espace dans lequel nous évoluons et, du même souffle, une toute nouvelle façon de percevoir et de cartographier la trame urbaine.

  1. Citation de Marcel Duchamp : «Ce sont les regardeurs qui font les tableaux» dans Marcel Duchamp. 1967 : Ingénieur du temps perdu / Entretiens avec Pierre Cabanne. Paris : Pierre Belfond, p. 122.
  2. Entrevue accordée à LA CHAMBRE BLANCHE dans le cadre de sa résidence. [En ligne] : www.vimeo.com/249209052 (page consultée le 11 janvier 2019).
Anne-Sophie Blanchet
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