b 32
éditions
la Chambre Blanche
bulletin n°32 - 2008
* Erik Olofsen. Possible Worlds. du 7 janvier au 24 février 2008

Possible Worlds

par Annie Hudon Laroche
Erik Olofsen du 7 janvier au 24 février 2008

Dans nos esprits des espaces se croisent. Notre vision du monde se teinte des espaces construits, des lieux que nous habitons mais également des espaces fictifs: images et représentations de toutes sortes. Les frontières et les polarités que nous dressions jadis pour baliser notre vision du monde s’estompent nous permettant d’entrevoir les espaces fuyants qui le façonne. Des espaces ouverts ou possibles, pour paraphraser le titre de la résidence d’Erik Olofsen, Possible Worlds, se dessinent alors. C’est ainsi que ce dernier a profité de son passage à LA CHAMBRE BLANCHE pour faire de la salle d’exposition un véritable laboratoire créatif en misant sur le temps pour mieux désarticuler le lieu, nous révélant par le fait même la dynamique spatiale qui l’anime.

crédit photo: Ivan Binet

crédit photo: Ivan Binet

Le travail effectué par Erik Olofsen fait d’abord penser à une mise en chantier dont l’issue serait laissée délibérément indéterminée. L’artiste s’est donc emparé du lieu d’exposition pour se livrer à un work in progress. Cette manière d’appréhender l’espace rappelle le concept de Michel de Certeau selon lequel «l’espace est un lieu pratiqué.»1 La mobilité, les déplacements, créés par le biais des différentes actions que pose l’artiste dans le lieu durant la résidence, engendrent la construction de l’espace. Un lieu fixe et stable se transforme alors en un espace mouvant, inscrivant l’oeuvre dans un entre deux riche de potentialités. Cette dynamique spatiale est rendue possible grâce à un jeu de structures, à l’aspect faussement bancal, qui se présentaient dans l’espace tels des vecteurs. Au cours du processus de création des murets surgirent dans l’espace, des assemblages de bois, certains prenant l’aspect de maquettes ou de tablettes, furent accrochés aux murs ou déposés à même le sol. Le tout était amalgamé à une profusion d’images affichées aux murs ou jetées pêle-mêle au sol.

crédit photo: Ivan Binet

crédit photo: Ivan Binet

Et si l’artiste disloque ainsi le lieu d’exposition, c’est pour mieux troubler le regard que le récepteur pose sur lui. Critique de l’omniprésence de l’image dans notre appréhension de l’espace, Erik Olofsen poursuit le travail qu’il avait entamé de manière poétique avec Mental Pollution présenté en 2007, pour amorcer cette fois-ci une recherche effective sur l’appréhension de l’espace. Ainsi, l’espace mis en branle par Erik Olofsen se présente avant tout comme un espace sensible aussi précis qu’ambiguë, dans lequel les différents éléments sont mis en interrelation, se faisant échos les uns les autres, tout en répondant à certaines caractéristiques du lieu initial (l’angle d’une fenêtre, la luminosité, etc.). De ces interrelations prend forme l’œuvre, surgit sa complexité. Avec Possible Worlds, Erik Olofsen met en évidence certains de nos mécanismes cognitifs, non pas en usant du leurre ou du charme de l’illusion, mais bien en présentant simultanément différentes temporalités et spatialités créant des décalages perceptuels. Une expérience de déconstruction qui rend compte de la complexité de notre perception.

Le dédoublement et la mise en abîme sont deux procédés auxquels a principalement recours Erik Olofsen pour ébranler notre regard. Dès l’entrée dans l’espace de Possible Worlds le ton est donné. L’envers d’une grande structure maintenu par un assemblage de bois qui semble pour le moins incongru, voire précaire. Cet assemblage sera repris plus loin dans l’espace par une photographie le représentant. Il suffit de balayer la pièce du regard pour apercevoir un autre type de dédoublement puisque des photographies tirées à l’échelle, représentant des étagères, côtoient leurs homologues effectifs sur un mur. Ainsi, pour peu que le récepteur soit observateur et curieux, il aura tôt fait de se laisser prendre au jeu et de rechercher des combinaisons et des correspondances possibles entre les éléments bidimensionnels et tridimensionnels présents dans l’espace. Ces jeux de passages entre l’espace fictif et l’espace effectif, parfois vertigineux, sont soulignés par l’utilisation de la mise en abîme. Un assemblage composé de petits bouts de bois et d’élastiques multicolores, par exemple, se retrouve à la fois dans l’espace effectif, dans une photographie et dans une autre photographie représentant un assemblage similaire, au côté d’une photographie représentant l’assemblage. Les espaces effectifs, fictifs et imaginaires s’imbriquent ici au sein de la perception. Le regard est ainsi troublé par la juxtaposition et la répétition d’éléments similaires dans l’espace mais également par la présence de photographies qui renvoie à différents moments du processus créatif. Une mémoire vive est dès lors créée au sein même de l’espace en mutation. Une mémoire qui s’élabore à partir de la documentation du processus qui est exposé sans délais dans l’espace. Le passé, le présent et le futur de l’œuvre sont donc présentés simultanément, les photographies antérieures de l’espace étant exposées lors de l’expérimentation du récepteur, laissant deviner l’avenir ou du moins le processus de captation que subira l’espace dans lequel ce dernier se trouve. C’est ainsi que le récepteur est constamment amené à réévaluer l’espace qu’il expérimente en le confrontant aux photographies exposées et aux différents points de vue qu’il occupe dans l’espace. Ce faisant, il se crée une certaine mise à distance par rapport à la perception initiale, ce qui permet l’émergence d’un regard critique.

crédit photo: Ivan Binet

crédit photo: Ivan Binet

Possible Worlds se révèle donc être un espace réflexif qui permet de délaisser la vision fixe, stable et univoque des regards fonctionnels sur le monde, pour prendre conscience et expérimenter des espaces fuyants. Des espaces qui, comme nous l’avons vus, s’activent notamment en faisant l’expérience de la durée ainsi que de la mobilité qu’elle soit effective ou cognitive. L’usage de stratégies artistiques (ici le dédoublement, la juxtaposition, et la mise en abîme) permettent d’activer de tels espaces et de voir poindre toute la richesse et la complexité des mondes.

  1. Certeau, Michel de. 1980, L’invention du quotidien, Arts de faire tI. Paris: Éditions Gallimard, p. 172.
Annie Hudon Laroche
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