Giulia Vismara: scénographe du son
par Carol-Ann Belzil-Normand
Giulia Vismara
du 8 août au 5 septembre 2016
Dans sa pratique, Giulia Vismara s’intéresse aux phénomènes sonores en relation à l’architecture. Pendant sa résidence à LA CHAMBRE BLANCHE, l’artiste a occupé une section de la galerie avec huit enceintes pour créer une expérience multicanal immersive. Vismara a réalisé une scénographie du son en contexte avec son lieu de résidence, la ville de Québec, et son expertise électroacoustique.
Lors de ses études, Giulia Vismara a acquis une approche expérimentale sonore qui prend en compte la relation entre le corps et l’architecture. Elle s’est d’ailleurs beaucoup intéressée au compositeur américain Max Neuhaus (1939-2009) et à son approche installative du son. En effet, Neuhaus avait pour réputation de transformer le son dans une forte perspective contextuelle et conceptuelle. Le compositeur s’appropriait de grands espaces urbains pour en dégager des sonorités exceptionnelles et singulières. Comme le mentionne Daniele Balit : «L’écoute de la ville moderne est en ce sens moins liée à un processus de décontextualisation et de représentation de l’environnement sonore, qu’à une tentative d’interroger et de prendre part directement à l’hétérogénéité d’un territoire en transformation, avec ses aspects conflictuels et problématiques.»1 En effet, le son en relation avec son écosystème permet de créer une acoustique matérielle puissante, en contrepoint avec l’ambiance chaotique de la ville. Le son désordonné de l’urbanité est organisé par le compositeur pour devenir clair et esthétique. Cette relation du son avec l’environnement devient une matière à expérimenter et à travailler. Dans son installation sonore UNSPACE, Giulia Vismara façonne le son dans une perspective semblable à celle de Max Neuhaus. Non seulement le contexte spatial est important, mais aussi son écoute, sa réception. Une relation se complète entre le corps qui reçoit le son et le son qui est envoyé dans l’espace architectural. Michel Chion révèle que «[…] le musical fait émerger le bruit comme événement […]»2 Ainsi, le travail de Giulia Vismara nous ramène à une perspective à la fois musicale et bruitiste du son. Le raffinement de la composition en dualité avec une captation plus brute nous attire dans un entre-deux où finalement c’est l’expérience du corps qui l’emporte. La composition musicale, peut-être imprécise, mais une fois travaillée, permet une introspection corporelle en communion avec le contexte architectural et urbain.
Giulia Vismara a recueilli plusieurs sons intérieurs et extérieurs dans la ville, ce qui lui a permis d’élaborer un récit sonore adapté à l’espace de la galerie de LA CHAMBRE BLANCHE. Pour sa trame sonore, elle a enregistré le son de la cigale, des navires, de l’air climatisé, des bruits de pas, de la circulation automobile. Elle a aussi travaillé avec diverses textures telles que le bois, le verre et le métal en s’intéressant au phénomène de la gravité et des effets sonores issus de la confrontation entre divers matériaux. Lors de ces captations sonores, elle souhaitait créer un mouvement entre les différentes sonorités. Ainsi, Giulia Vismara produit une trajectoire spatiale entre sons de synthèses et sons concrets.
Le rapport à l’espace et au corps est primordial dans la recherche de Giulia Vismara. Pour Giancarlo Toniutti : «L’espace est toujours un espace ouvert.»3 Le travail de Vismara s’inscrit dans cette même logique. Le fait de créer un espace défini dans la galerie ne signifie pas qu’il est fermé. Au contraire, ce rapport au mouvement et à la composition permet l’émergence d’un imaginaire sonore proposé par l’artiste. Malgré un temps défini dans l’écoute, la proposition de Vismara propose une multitude de lectures pour offrir une immersion ouverte et accessible au spectateur.
- Daniele Balit, « Pour une musique écologique – Max Neuhaus » dans Critique d’art – Actualité internationale de la littérature critique sur l’art contemporain, Printemps/Été 2015, No. 44, en ligne https://journals.openedition.org/critiquedart/17141. Page consultée le 11/03/2020.
- Michel Chion, Le son : Ouïr, écouter, observer, Éditions Armand Colin, Paris, 2018, p. 73.
- Traduction libre de «The space is always an open space» dans Brandon LaBelle et Steve Roden, Site of Sound : of Architecture and the Ear, Errant Bodies Press in association with Smart Art Press, Los Angeles, 1999, p. 37.